Drôle d’aventure à laquelle l’APF m’a proposé de venir participer, en me demandant de témoigner de ce qu’est pour moi, qui ne suis pas pasteur, mais future proposante en juillet prochain, la liberté de conscience du pasteur.
J’ai tout de suite eu envie de dire oui, car ce sujet est probablement l’un des enjeux les plus importants de ce qui fonde le positionnement du pasteur, puis une prudence m’a recommandé une certaine réserve : en cours de présentation à une paroisse, ne faut-il pas faire attention à ce que l’on dit, préserver une neutralité de bon aloi, pour ne pas choquer, et rester dans une attitude médiane ? Or en abordant le thème de la liberté de conscience, on aborde aussi celui de l’obéissance aux institutions, à ce qui est politiquement correct. Très vite la contradiction ou le paradoxe de cette réserve potentielle m’est apparue : si, au moment de m’engager comme pasteur, je ne m’autorise pas à dire ce que je pense important sur un sujet aussi primordial, alors que j’en ai le désir, quid alors de la liberté de conscience ? Je peux la mettre au placard dès le départ…
Donc je suis là devant vous. Dix minutes, m’a-t-on dit, dix minutes, soit environ la moitié du temps d’une prédication, c’est beaucoup pour une non spécialiste, et le risque de verbiage est grand. Dix minutes pour circonscrire un tel sujet, c’est peu vu son étendue, donc le risque de simplement effleurer le sujet est grand. Dix minutes pour un témoignage modeste, quelques réflexions en cours d’élaboration ...
Toutes ces précautions oratoires étant prises, voici l’état actuel de la problématique telle qu’elle m’apparaît à la veille d’embrasser un ministère.
Je voudrais distinguer ce qui est de l’ordre de la liberté de conscience en tant que citoyen, et celle plus spécifique en jeu dans le ministère pastoral. Le terme « liberté de conscience » évoque en premier lieu pour moi de grandes causes : l’Edit de Nantes, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, l’affaire Dreyfus, les Justes pendant la deuxième guerre mondiale. Le protestantisme a été, en tant que religion minoritaire en France, l’une des victimes de la non-reconnaissance de la liberté de conscience dans notre pays. Mais l’Edit de Nantes a été, malgré sa révocation par Louis XIV en 1685, un jalon important vers la lente reconnaissance en France de la liberté de conscience . Gageons que la résistance et la non soumission à la loi du plus fort de nombreux protestants a favorisé l’émergence de cette notion chez les philosophes des Lumières : Pierre Bayle, protestant français exilé en Hollande, considéré comme le "père des Lumières" écrit en effet en 1686, dans son Commentaire philosophique :
«Il est impossible, dans l'état où nous nous trouvons, de connaître certainement que la vérité qui nous paraît (je parle des vérités particulières de la Religion, et non pas des propriétés des nombres ou des premiers principes de métaphysique, ou des démonstrations de géométrie) est la vérité absolue; car tout ce que nous pouvons faire est d'être pleinement convaincus que nous tenons la vérité absolue, que nous ne nous trompons point, que ce sont les autres qui se trompent, toutes marques équivoques de vérité, puisqu'elles se trouvent dans les païens et dans les hérétiques les plus perdus. [...] Un Papiste est aussi satisfait de sa religion, un Turc de la sienne, un Juif de la sienne, que nous de la nôtre. Les plus fausses religions ont leurs martyrs, leurs austérités incroyables, un esprit de faire des prosélytes qui surpasse bien souvent la charité des orthodoxes et un attachement extrême pour leurs cérémonies superstitieuses. [...] Dans la condition où se trouve l'homme, Dieu se contente d'exiger qu'il cherche la vérité le plus soigneusement qu'il pourra et que, croyant l'avoir trouvée, il l'aime et y règle sa vie. [...] Le principal est ensuite d'agir vertueusement; et ainsi chacun doit employer toutes ses forces à honorer Dieu par une prompte obéissance à la morale. À cet égard, c'est-à-dire à l'égard de la connaissance de nos devoirs pour les mœurs, la lumière révélée est si claire que peu de gens s'y trompent, quand de bonne foi ils cherchent ce qui en est.»
Qu’est-ce qui fonde, d’après moi, cette revendication à une liberté de conscience ? La conscience peut-elle ne pas être libre ? Si l’on s’en réfère à la définition du Dictionnaire Culturel en Langue française, la conscience est la « connaissance intuitive par l’être humain de ce qui est le bien et le mal et qui le pousse à porter des jugements de valeur morale sur ses propres actes ». Il y a donc quelque chose d’une intime conviction, du non prouvable, dans cette liberté de conscience. Elle est pour moi de l’ordre de la grâce, elle est ce qui nous dépasse, devenir conscient comme émergence lente des profondeurs de l’inconscient individuel et collectif. On ne peut la mettre en cage, on peut simplement la brider de manière à ce que ses effets ne soient pas visibles, ou audibles. La conscience est de l’ordre de ce qui dépasse toute institution humaine, et qui est corrélée avec la responsabilité individuelle. Elle touche donc à un droit fondamental, intime, inaliénable. Un Etat, une institution qui au minimum accepte la liberté de conscience, et même la promeut, accorde de facto un crédit de confiance aux personnes, à leur capacité de discernement, à se comporter de manière responsable. A l’inverse, douter de cela, c’est reléguer ses concitoyens, son prochain, à un rang d’incapable, d’agresseur ou de victime potentielle. Bien sûr, les institutions se doivent de protéger ceux qui sont momentanément plus faibles : les enfants notamment. Comment juger de cette non capacité potentielle de discernement d’un adulte, à part à l’aide de critères psychiatriques, entraînant une incapacité juridique ?
Aujourd’hui se pose dans notre pays la question de ce discernement, face à ce qui est appelé dérives sectaires et aussi face aux moyens pour lutter pour la protection des plus faibles. Je trouve cet exemple, que je vais développer, parmi d’autres que l’on pourrait relever, intéressant car il met le protestantisme en cause d’une certaine manière, tout en montrant comment, par son apport dans le débat public, un représentant du protestantisme peut se dresser pour la liberté de conscience. En effet, le protestantisme est mis en cause indirectement dans cette lutte, par les travaux de la Commission d’enquête parlementaire sur les sectes rendus publique le 19 décembre 2006. J’ai relevé dans le BIP du 1er février 2007, c’est aussi sur le site protestants.org, un extrait d’une lettre écrite par le président de la Fédération protestante de France, le pasteur Jean-Arnold de CLERMONT, au ministre de l’Intérieur, chargé des Cultes, M. Nicolas SARKOZY, le 8 janvier 2007 : « Ce qui nous semble tout à fait extraordinaire, c’est que visant des associations à ‘caractères sectaires’ ce soient des associations cultuelles qui ne sont pas susceptibles d’être des associations à caractères sectaires qui se trouvent mises en causes »
Il souligne que s’il ne lui revient « pas de juger en général des travaux de cette commission », le rapport lui « a semblé manquer sérieusement d’analyse sociologique, pratiquer l’amalgame… » et il a exprimé le souhait que cette « enquête soit confrontée à l’analyse de sociologues et d’universitaires qui permettra d’en apprécier la valeur au-delà des effets d’annonce. » Le président de la FPF rappelle que dans ce rapport « le protestantisme n’est pas directement concerné, sauf dans la compréhension qu’il a de la liberté de conscience.» La laïcité est la garante de la liberté de conscience, elle-même en constituant l’un des piliers. Cette intervention de la FPF dans le débat public montre l’intrication du protestantisme avec les enjeux concernant la liberté de conscience. En étant souvent la cible du non respect de la liberté de conscience, nous avons vu que le protestantisme est souvent le défenseur et le promoteur de cette dernière.
Je vous racontais tout à l’heure les questions que je me suis posé pour cette intervention ayant somme toute peu de conséquences potentielles. J’ai grossi le trait à loisir : ni torture, ni déportation, ni bûcher en ligne de mire…juste le jugement de mes pairs. Le dilemme dans lequel nous nous situons à chaque fois que la liberté de conscience est menacée, est le suivant : nous avons quelque chose à penser, à croire, à dire, à agir, qui nous tient à cœur. Et en regard de ce penser, de ce croire, de ce dire, de cet agir, il y a autre chose auquel on tient et que nous pourrions perdre. Ca peut être son intégrité physique, sa vie même, mais aussi sa dignité, son honneur, son acceptation dans tel ou tel groupe. Actuellement, certains mots comme « secte » rendent ceux qui seraient soupçonnés d’y être associés d’une manière ou d’une autre passibles d’être fustigés par les garants de l’ordre public, comme l’Etat, d’où le courage qu’il est nécessaire de montrer pour interpeller ces derniers afin de préserver ce qui a été acquis par nos ancêtres par le sang, la liberté de culte et la diversité d’opinions et de croyances.
Je distinguais tout à l’heure la liberté de conscience du citoyen de celle, plus spécifique, du pasteur. Nous avons vu, avec l’exemple ci-dessus, en transition, comment un pasteur, peut – et doit entrer dans l’espace citoyen lorsqu’il s’agit de défendre cette dernière. Mais plus précisément, il me semble que le pasteur est pris dans une ambiguïté ou plutôt une tension, en ce qui concerne sa possible liberté : liberté dans sa relation à Dieu, liberté d’être l’interprète de la Parole, liberté dans sa conscience de citoyen, de père de famille, de partenaire pour fonder un couple. Aussi libre que tout citoyen, aussi libre que tout croyant, aussi libre que la liberté qu’il veut bien entendre qu’il lui est permis de s’octroyer, dans sa relation à Dieu, ou à Jésus-Christ. Liberté d’évoluer en tant que personne, de ne pas se laisser enfermer par ce qu’on sait de lui venant du passé, par son identité, mais se garder une marge de repositionnement, de se laisser impacter par la Parole, de se laisser ré- interpréter lui-même par la Parole. Une Parole vivante ne peut pas ne pas avoir d’influence, or le pasteur est au front … Si la parole n’a pas d’influence sur le pasteur qui prêche, peut-elle en avoir sur l’assemblée réunie ? or là où cette parole nous emmène, on ne peut le prévoir, c’est l’espace pour le souffle de l’Esprit Saint.
Luther distingue, dans son ouvrage « De La liberté du Chrétien », la liberté de l’homme intérieur de la servitude de l’homme extérieur. « Un Chrétien est un libre seigneur de toutes choses et il n’est soumis à personne. Un Chrétien est un serf corvéable en toutes choses et il est soumis à tout le monde. Si la liberté chrétienne, c’est la foi seule », écrit Luther, « l’Esprit rend le cœur joyeux et libre, tel que la Loi l’exige. » C’est ainsi que le pasteur de l’ERF inscrit son adhésion à la Déclaration de Foi de 1938 : joyeusement et librement. Cette adhésion peut sembler une contrainte, mais en même temps elle donne un cadre commun suffisamment souple pour que des paroissiens ou visiteurs occasionnels de telle ou telle église se retrouvent, n’importe où en France, face à des prédicateurs ayant des présupposés d’interprétation communs. Le pasteur est interprète de la Parole externe, mais la Déclaration lui fournit une clef herméneutique, qu’il va également interpréter en fonction de sa propre intuition et sensibilité, et c’est cette Parole devenue la sienne, parole interne qu’il va faire retentir en chaire.
Le pasteur, être humain soumis à la finitude, est ministre d’une église, ministre de l’union, citoyen d’un pays dont il respecte a priori les règles et les lois. Mais aussi, le pasteur, créature et enfant de Dieu en Christ, est libre d’une conscience inaliénable, et se doit de faire retentir la voix de cette liberté.