Werner Bürki est pasteur de l’Eglise Réformée de France à Paris – Oratoire du Louvre
Ne plus parler vrai, c’est un risque que l’on court lorsque notre vie manque de densité. Ainsi parle Antoine de Saint-Exupéry dans « Lettre à un otage » : « Quelle merveille que ce télégramme qui vous bouscule, vous fait lever au milieu de la nuit, vous pousse vers la gare : « Accours ! J’ai besoin de toi ! » Nous nous découvrons vite des amis qui nous aident. Nous méritons lentement ceux qui exigent d’être aidés.
La liberté de Parole.
Je suis pasteur dans une église qui est ce que l’on appelle une église de « tendance » avant d’être une église de quartier. L’Oratoire du Louvre. L’assemblée est à la fois une communauté et un auditoire. Elle est connue pour son appartenance au courant libéral moyennant quoi elle est plutôt traditionnelle. Sa confession de foi est trinitaire, et il est d’usage de ne pas réciter le « Symbole des Apôtres » lors du culte. Il n’est pas habituel non plus de prononcer à haute voix la prière du Seigneur. Seul l’officiant la dit après l’intercession, moment durant lequel les cloches sonnent.
Ainsi des habitudes, sans limiter vraiment la liberté de parole, donnent une tonalité particulière, « à priori » à celui qui parle. Il y a une tendance dogmatique à refuser les dogmes, pour résumer cette volonté, l’église se désigne volontiers par le credo d’Evangile et Liberté. Par souci de vérité et de fidélité au message évangélique, refusant tout système autoritaire, nous affirmons ; - la primauté de la foi sur les doctrines, - la vocation de l’homme à la liberté, la constante nécessité d’une critique réformatrice, - la valeur relative des institutions ecclésiastiques, - notre désir de réaliser une active fraternité entre les hommes qui sont tous, sans distinction, enfants de Dieu. On peut y ajouter d’autres ancrages fort tels que : « L’Eternel règne, il est Esprit, il est Amour ».
S’il est illusoire d’imaginer une totale transparence entre les êtres (qui serait à mon sens une fausse interprétation de la liberté de parole) le NT nous rappelle cependant que nous avons été appelés à la liberté.
1 -Répondre à cet appel exige une référence constante à l’œuvre de Dieu en Christ, telle qu’elle se réalise dans ma propre vie.
2- Cet appel à la liberté place le pasteur, constamment devant sa responsabilité.
3- Cet appel à la liberté exige le « discernement » en fonction de l’interlocuteur.
Le premier point relève du précédent travail que vous avez effectué en 2006 concernant le pasteur et la spiritualité. Divers témoignages rappellent le quotidien de la fréquentation de la Bible, l’exercice de la prière et la nécessité vitale de puiser journellement à la source vive de l’Esprit. Le deuxième point concerne la responsabilité. Elle se présente de manière variable selon qu’elle est assumée en interne ou en externe.
En interne.
Une énumération non exhaustive nous permet de citer premièrement la chaire. Liturgie et prédication. Haute exigence à l’Oratoire. Liberté accordée dès lors que le discours est intelligent, qu’il est incarné et nourri de convictions. Si le discours est structuré et les points de repères garantis ainsi que la pensée résumée en fin de sermon, une prédication de 25 minutes est bien reçue.
Ceci dit, est-ce que le pasteur en poste s’autorise à parler de manière totalement libre ? Nous sommes comme partout confrontés à ces trois tabous que sont : l’argent, le sexe, et la politique. Pour s’y risquer, nous proposons des cultes à thème, un par mois sur un trimestre, et souvent, nous invitons un pasteur extérieur…L’argent a eu lieu, le sexe est en court si je puis dire et nous avons ajouté des précautions supplémentaires ; celles d’organiser une soirée débat où les précédentes « prédications-conférences » seraient reprises et débattues… (Faudrait-il qu’il en soit ainsi pour toute parole imposée ainsi d’en haut ?
La politique présente d’autres limitations et nos cultes laissent aussi des espaces à des temps d’information attendues ou contestées… Cimade, Gédéons, prisons, sida, mort du Pape, relation avec d’autres églises de la FPF, etc… Ne pas en parler pour les uns, ne pas en avoir assez dit pour les autres, etc…
Le discours responsable s’ajuste aussi lors d’un entretien pastoral, ce que nous appelons faute de mieux, la cure d’âme. La liberté de parole, parfois difficile à celui qui se confie, liberté d’écoute et d’écoute de soi pour le pasteur. Il peut arriver de ne plus être libre. Une réalité trop difficile à entendre va réveiller des questions personnelles enfouies. A cette occasion, peut-être qu’il faut accepter de passer le relais à d’autres quand cela est possible.
La question des « actes pastoraux ».
Sommes-nous chapelain des familles avec le discours d’appartenance à des générations de protestants parfois assez éloignés de la foi ou pasteur d’inconnus s’approchant pour une prestation et que nous ne reverrons probablement plus par la suite ? Il y a aussi toute la mobilisation devant la souffrance que provoque un deuil et absence apparente de foi ? Quoi, que…
La jeunesse. – école biblique, c’est un temps magnifique. Mais à quel prix réussir à trouver des horaires compatibles. Cela arrive après, le sport, le cheval, la danse, la musique, le scoutisme… Les catéchumènes avec lesquels ont vit de grands moments de liberté de parole, de détresses ou de joies partagées, mais une fois la confirmation passée, ils ressemblent à l’histoire des hirondelles dans le temple. (Je peux vous raconter l’histoire un peu cynique…) On raconte en effet que des hirondelles s’étaient installées dans un temple…La gêne occasionnée engage le conseil a faire appel à une première entreprise qui fait un travail, mais peu après, les hirondelles reviennent… Qu’à cela ne tienne, une entreprise plus compétente à priori est sollicitée. Même scénario. Au bout d’un certain temps, malgré la destruction des nids, les hirondelles sont là, à nouveau ! C’est alors que le pasteur dit vouloir se charger lui-même de l’opération… Il les a baptisées, puis confirmées. – On ne les a jamais revues…
Les catéchismes d’adultes. Adaptation de la présence de différentes personnes, ayant des niveaux de connaissances variées. Circulation de paroles de vérité exceptionnelle. Même phénomène avec l’enseignement de l’hébreu ou du grec débouchant sur d’autres intérêts et prise de parole. C’est passionnant.
L’hymnologie, l’adoration-louange.
Il y a de superbes affirmations dans le Psautier, ou dans le recueil « Louange et Prière » Des affirmations qui sont mise en doute par ailleurs parfois. Ainsi, la liberté de parole est autre selon qu’elle est portée par la poésie, la musique, une proclamation très affirmée alors ! Cela rend humble et reconnaissant.
Avons-nous une liberté de parole dans la supervision et cette dernière est-elle vraiment pratiquée ? Qui trouvera un vis-à-vis régulier, sorte d’épiscope fraternel, qui épaule, accompagne, corrige éventuellement, sans devenir « copain », mais porteur de la liberté de parole devant Dieu ? Me revient sans cesse, cette phrase de Bernanos, dans le Journal d’un curé de campagne que vous connaissez tous, je la cite de mémoire… Bénissez-moi mon Père, avant de partir. Réponse : non, c’est toi qui es dans la peine, c’est à toi de me bénir. – retournement de la liberté de parler.
En interne, parler librement consiste à suivre les trois points cités plus haut. Parler librement, c’est savoir écouter. Ici, je veux citer Antoine de Saint-Exupéry, dans le splendide ouvrage qu’est pour moi la Lettre à un otage : …On se découvre vite des amis qui nous aident, on mérite lentement ceux qui ont besoin d’être aidés.
Nous avons des synodes. La fraternité n’y est pas absente, mais je n’ai pas l’impression que les discussions soient vraiment hardies. Plutôt mieux que dans d’autres églises, certes, mais nous avons des difficultés à mettre en application en se sentant concernés vraiment, de parler librement. Il semble que la volonté d’un consensus à priori domine les débats.
En externe.
Réunions officielles : Municipalités, Magistrature, milieu politique. Nous bénéficions de la déférence conservée au catholicisme et parfois nous avons l’avantage d’un échange plus libre, moins institutionnel. C’est une richesse pour mettre en œuvre notre liberté de parole. Reste la nécessité du vrai et du profond et une place à l’humour qui n’est jamais loin de l’amour.
Pour les aumôneries : On est sur le terrain de l’autre. Notre parole est une présence. Là aussi, il faut l’humour et un contact sans hypocrisie. La liberté de parole est de ne pas oublier d’être en quelque sorte le sourire de Dieu !...
Pour toutes les personnes en recherche qui surgissent on ne sait d’où… Me revient sans cesse la phrase de l’apôtre : « malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile » et encore, si quelqu’un te demande de faire un mille avec lui, fais en deux !
Histoire et par exemple, visite du temple…C’est l’occasion attendue d’évoquer la foi l’ecclésiologie, la théologie, le rite…
Le suivi des Artistes : Ce qui est visé, c’est l’excellence, mais la parole libre doit aussi permettre de voir émerger de nouveaux talents… Affaire à suivre. Mais sachez qu’il existe à l’Oratoire, la réunion régulière de l’association protestante des artistes.
La radio : les contacts sont libres et les prises de paroles dissimulent maladroitement des questions essentielles qu’il faut tenter de faire surgir avec tact… Exercice souvent difficile. Mais très bel espace de liberté.
La presse : Libre certes, mais toujours en mon nom propre. Il n’y a pas de parole dite « protestante » officiellement. C’est un enjeu particulier aussi pour la liberté et une confrontation permanente à la responsabilité personnelle. Une richesse et une faiblesse à la fois. Ainsi du paradoxe de se savoir libre de parler et de juger si difficiles les occasions de s’en saisir ! A moins que, souvent, sans éclat particulier, les choses avant dernières soient traitées comme il le faut, puisque, à l’instar de l’Arc en Ciel, nous sommes, pasteurs, des rappels du souvenir de Dieu qui agit en rédempteur. Ce signe-sacrement de l’Arc en Ciel est éphémère à la vue, mais son message perdure comme les paroles vraies et librement prononcées.