Je ne pense pas que je fais vous faire de grandes théories sur le comment un pasteur doit vivre sa spiritualité, parce que c’est quelque chose à laquelle chacun s’essaie (sic). Et si tout va bien, il s’y trouve peu à peu. L’enjeu de ce que j’aimerais vous dire cet après-midi, c’est parler un peu de l’accompagnement spirituel, de l’accompagnement spirituel dans la vie spirituelle. Parce que c’est un sujet qui me tient à cœur, et qui me tient à cœur dans mon Eglise, c’est-à-dire de l’Eglise protestante. Je suis en Suisse, mais je crois que c’est généralisable plus largement. Nous n’avons pas beaucoup réfléchi à l’accompagnement spirituel en tant que tel. Nous n’avons pas forcément une pratique de l’accompagnement spirituel. Nous n’avions pas forcément besoin d’en parler, parce que nous avions l’impression que nous le faisions naturellement.
Ce que veut dire « accompagner spirituellement »
Je crois que la tâche qui est celle du pasteur - qui le met en relation avec ceux qui lui ont été confiés - a pas mal changée. Peut-être s’est-elle un peu segmentée. On rencontre peut-être moins les gens dans tous les aspects de leur vie. Et comme vous le mettez sur votre papillon, la quête de spiritualité est de plus en plus affirmée dans la société et on se rend compte qu’il y a aussi d’autres gens que nous. Et cela nous interroge sur ce que les autres semblent pouvoir offrir, sur ce que les gens ne viendraient pas chercher tout simplement chez nous. C’est à partir de là que la crise, ou une certaine crise de la figure du pasteur comme accompagnateur spirituel me fait réfléchir, m’a fait réfléchir, sur ce que veut dire « accompagner » spirituellement. Vous avez mis dans votre papillon « Rôle et importance de l’accompagnement spirituel dans la vie chrétienne ». C’est ce que je viens vous dire, c’est de cela que j’aimerais parler. Vous aviez indiqué « La quête de spiritualité est de plus en plus affirmée, sous des formes multiples dans la société comme dans l’Eglise ». C’est vers quoi je veux arriver dans la deuxième partie de mon propos. Vous mettez : « La Pastorale tentera de creuser cette attente et les réponses que nous pouvons lui apporter. Elle s’intéressera particulièrement à l’accompagnement spirituel, qu’il s’agisse de l’accompagnement pastoral ou de celui du pasteur lui-même ». J’aimerais partir de l’accompagnement de ce que vous avez indiqué là à l’accompagnement pastoral.
Vous trouverez systématisé une partie de mon propos dans un numéro récent de la revue Communion, qui est ici éditée par les Diaconesses, le numéro 73, paru en 2004.
Je vais essayer dans un premier temps de vous dire comment je situe l’accompagnement spirituel par rapport à l’accompagnement pastoral. L’accompagnement pastoral pourrait évoquer diverses situations. Préparer un acte ecclésiastique, casuel, comme on dit. Faire une visite pour préparer un baptême, ou vous avez un couple qui arrive dans votre bureau. Vous faites des visites des familles des catéchumènes qui vont célébrer une confirmation. Vous êtes dans une famille pour un service funèbre. A ces occasions, vous accompagnez les gens en tant que pasteur. Ou bien, une famille est dans la difficulté dans la paroisse, ou proche, ou connue par des gens de la paroisse. Difficultés matérielles, difficultés financières, où l’on va se solidariser. Vous êtes auprès de cette famille le témoin de la paroisse, le représentant de la paroisse ou de la communauté chrétienne. De même, si la paroisse parraine des réfugiés, par exemple, les accueille dans ses locaux. Vous êtes là en train d’accompagner cette famille.
Et là vous vous rendez compte que vous ne l’accompagnez pas tout seul. Concrètement, il y a d’autres gens qui sont mobilisés dans la paroisse. Et on pourrait déjà dire en première chose que l’accompagnement pastoral : vous le faites au nom de la paroisse. C’est une tache de la paroisse, c’est la paroisse qui accompagne, de manière pastorale, chacun et chacune qui lui sont confiés. Il y a une délégation spécifique sur certaines personnes qui ont pour tache de le faire professionnellement. Vous visitez quelqu’un à l’hôpital. Ou bien vous soutenez des paroissiens dans leur engagement au service de la paroisse : les catéchètes, un groupe qui s’occupe des jeunes, des gens qui essayent d’organiser une campagne… Eh bien, ils ont des difficultés, ils ne savent pas comment s’y prendre, ils aimeraient apprendre pour savoir comment s’y prendre, ils aimeraient en parler. Vous êtes là pour les soutenir. Et traditionnellement, vous faites des visites à domicile, « une visite gratuite à domicile », disons-le comme ça. Toutes ces différentes activités rentrent dans ce que j’appelle l’accompagnement pastoral. Et j’ai volontairement repris cette grande variété pour montrer que dans l’accompagnement pastoral, le pasteur se comporte comme un généraliste. Il peut accompagner des personnes dans la diversité de leurs besoins. Cela peut être organisé par un service de transport à une personne qui autrement ne pourrait par aller au culte ou chez son médecin. Organiser logement et repas pour une personne en situation précaire. Aider la personne à trouver une aide financière. Aider à gérer des conflits à l’intérieur d’un groupe dont on est membre, comme de la communauté religieuse. Il y a différents groupes où cela ne se passe pas très bien et où l’on essaie d’accompagner tout cela. Instruire, enseigner, donner des repères de foi…
Pour l’accompagnement pastoral, on va désigner une prise en charge globale. Et cette prise en charge globale est l’expression de la miséricorde de Dieu. C’est l’expression de la compassion de Dieu, ou de l’accueil inconditionnel de Dieu. C’est une manière de le rendre réel, présent, une affirmation de foi que Dieu est Celui qui nous accompagne sur nos chemins. Je sais que Dieu nous accompagne, que moi-même je suis là auprès de toi dans ce que tu vis aujourd’hui. Le pasteur, ou d’autres membres de la communauté chrétienne sont les témoins de cet accompagnement auprès de chaque être humain, au nom de l’Eglise. L’accompagnement spirituel, c’est être le pasteur du troupeau et participer à la tache pastorale. Aller chercher les brebis perdues, accompagner la brebis malade.
Dans ce cadre de l’accompagnement pastoral, il arrive parfois qu’une personne sollicite plus spécifiquement une écoute personnelle. Elle aimerait pouvoir parler de sa souffrance. Elle aimerait faire état des ses questions. Elle demande une écoute de sa souffrance et de ses questions. Je vais un peu schématiser le type d’attitude qu’elle attend. Disons aux extrêmes, d’un côté la personne cherche des réponses. Elle a des questions et elle veut des réponses, des réponses théologiques, des réponses pratiques, des réponses financières, des réponses affectives, des conseils. Elle voudrait savoir que décider, comment s’y prendre. Elle confère à celui qui est en face d’elle la responsabilité de prendre une initiative, et, je dirais, de savoir à sa place, de décider à sa place, de la conduire un bout. Ou bien, elle demande à comprendre ce qui lui arrive. Elle ne demande pas une réponse, mais elle demande une écoute. Elle aimerait que quelqu’un l’aide à comprendre ce qui lui arrive, à avoir des repères pour interpréter, avoir des clefs de lecture de la situation dans laquelle elle se trouve, pour pouvoir, elle-même, trouver une réponse. Dans ce cas-là, la personne, à l’extrême, ne veut surtout pas de conseil. Elle ne veut surtout pas de réponse.
La spécificité de l’accompagnement spirituel
Je vais ranger l’accompagnement spirituel dans cette deuxième demande. L’accompagnement spirituel, je le situe comme quelque chose de beaucoup plus spécifique, qui peut se ranger à l’intérieur d’un ensemble beaucoup plus global, qui est l’accompagnement pastoral. Il y a des moments dans la tâche de l’accompagnement pastoral où le pasteur devient un accompagnateur spirituel. Je vais réserver le terme d’accompagnement spirituel à ces moments où la personne demande une écoute personnelle pour aider à comprendre ce qui lui arrive en relation avec Dieu, avec sa relation à Dieu. Cela m’amène à une distinction, parce qu’à cet endroit précis, dans notre société actuelle, nous nous trouvons dans une fonction qui ressemble, en bonne partie, à d’autres acteurs de la vie sociale, qui ont des tâches d’écoute et d’aide à comprendre ce qui nous arrive en particulier : des psychologues.
La question à cet endroit-là est de savoir ce qui fait la spécificité de l’accompagnement spirituel, par rapport à, ce que l’on pourrait appeler de manière globale l’accompagnateur psychologique. Global, parce que vous n’allez pas trouver quelqu’un qui met une plaque sur sa porte et qui lit « accompagnateur psychologique ». Mais dans la tache d’accompagner des gens, on peut le faire sur le mode psychologique et pour préciser ce que j’appelle l’accompagnement spirituel c’est faire se situer l’un par rapport à l’autre. Dans la manière dont j’ai spécifié la situation dans laquelle nous sommes en train d’entrer dans l’accompagnement spirituel, j’ai désigné une personne qui adresse une demande d’écoute. Ce qui veut dire que dans le cas le plus paradigmatique, disons comme cela, on pourrait parler de l’accompagnement spirituel quand on est dans une situation où il y a deux personnes. Une personne qui tente une parole, qu’elle demande à être entendue par une personne qui l’écoute. C’est une situation à deux, initiée par la demande de l’une d’entre elles. Asymétrique, une situation qui est centrée sur la personne qui a demandé l’écoute, et pas sur l’autre. C’est-à-dire que la personne pense, si elle a sollicité cette écoute, et qu’elle a obtenu l’accord d’être écoutée, que la personne qui est en face d’elle, elle l’a pour elle, et seulement pour elle. Elle ne va pas lui demander de l’écouter à son tour. Elle ne va pas lui demander de prendre en charge ces propres questions à elle. On ne va pas être en situation symétrique, ou réciproque. Cela me semble extrêmement important à préciser. Un accompagnement est autre chose qu’un partage spirituel, où chacun dit des bonnes expériences qu’il a faites. Dans ces cas on n’est pas là pour un accompagnement spirituel, mais pour s’édifier, s’instruire, s’enseigner, s’encourager... Ce n’est pas une situation d’accompagnement spirituel, au sens propre du terme. Le psychologue ou le thérapeute se trouve dans la même situation, dans le même cadre d’entretien. Il est en face d’une personne qui lui demande d’être centré sur lui et non pas l’inverse. Il veut parler de ce qu’il lui arrive, et lui demande une attitude d’écoute.
Qu’est-ce qui va différencier alors de manière essentielle les deux intervenants ? Et bien, je crois que l’intervenant psychologue est là au nom de ce que la personne raconte, au nom de son parcours, au nom d’une intelligibilité de son parcours. Alors que l’accompagnateur spirituel, et en particulier le pasteur, il est là au nom d’un Troisième, par rapport auquel la personne dit vouloir se situer. C’est pour ça qu’elle est venue s’adresser au pasteur. Il est là au nom de la relation entre Dieu et cette personne. Cela donne tout de suite une écoute différente. Parce que peut-être que dans le cadre de l’entretien dans un cas comme dans l’autre la personne va vous raconter les souffrances qui sont les siennes. Des souffrances familiales, des souffrances de travail. Peut-être elle va raconter les mêmes événements à l’un comme à l’autre. Mais ce qu’elle attend comme écoute de l’un et de l’autre n’est pas la même chose. Dans un cas, elle va chercher à comprendre ce qui se passe dans le jeu relationnel entre les personnes pour pouvoir se mettre à débrouiller les choses, à se situer là-dedans, à comprendre quelle part elle a dans ce qui lui arrive et quelle part ont les autres, quelle part ont des déterminismes liés à son expérience passée. Cela peut même aller très loin dans une analyse de l’enfance, même transgénérationnelle (sic), suivant les approches thérapeutiques.
Alors que si la même personne raconte tout cela à son pasteur, peut-être ces questions vont revenir aussi. Mais il y a un moment ou un autre - et si ce n’est pas elle qui le dit, il faudra que le pasteur le rappelle - où la question de savoir ce que Dieu dit là-dedans va intervenir. Qu’est-ce que veut dire être un chrétien dans cette situation ? Qu’est ce que veut dire être à l’écoute d’une parole de Dieu dans cette situation ? Quel est le sens ? Cela va vers où ? Quel est l’enjeu pour ma foi ? Cela donne une responsabilité à la personne qui accompagne. La situation s’initie à la demande de la personne qui sollicite l’écoute ou qui a des questions. Mais la responsabilité de maintenir le cadre de l’écoute, selon les caractéristiques que j’ai distinguées, revient au professionnel qui est en face. La personne se met à raconter plein de choses qui ont à faire avec son histoire. Dès que vous commencez à intervenir, c’est uniquement sur le registre de l’aider à mettre en mots ses émotions, de dire ses angoisses, de voir comment la figure maternelle ou la figure paternelle a pu marquer ce qui se passe. Chaque fois que vous intervenez, vous cadrez de cette manière. Vous êtes en train de construire un cadre qui n’est pas spécifique à l’accompagnement spirituel. Ce qui ne veut pas dire que telle ou telle une question n’y a pas sa place. Mais il y a un moment où on en reste là.
Et Dieu dans tout ça
Il faudra, à un moment ou à un autre - je vais le dire un peu grossièrement - qu’intervienne une question par la responsabilité du pasteur, et non pas par la responsabilité qui a fait la demande, parce qu’il ne sait peut-être pas comment il faut le faire. Intervient cette question : Et Dieu dans tout ça ? C'est-à-dire d’une autre manière : Pourquoi vous venez me raconter tout cela à moi ? Pourquoi est ce c’est important que vous veniez le dire à quelqu’un qui est là, témoin au nom de Dieu ? Cela a une importance assez grande par rapport à la question des valeurs des références. Je ne dirai pas que le thérapeute ne peut pas travailler avec la personne sur le sens de sa vie. Mais il ne peut pas, je crois - s’il veut vraiment être dans une attitude de neutralité bienveillante - prescrire ou défendre des valeurs. Il peut s’interroger sur la manière dont la personne concilie ses options, ses actions par rapport à des valeurs. Il peut demander à la personne de dire quelles sont ses valeurs. Mais s’il est en face de quelqu’un qui est incapable d’en mentionner, cela va être tout un travail pour qu’elle repère quelles sont les valeurs qui lui auraient été communiquées - ou la confusion de valeurs dans laquelle elle s’est construite. Pour l’aider, s’il est possible, à faire des choix. Mais les choix sont les siens.
Le pasteur est là au nom d’un cadre commun de valeurs avec la personne qui est en face de lui. Tu es un frère ou une sœur en Christ. Nous appartenons à l’Eglise de Christ, au Corps de Christ. Donc, il y a un moment où la question de savoir comment est-ce que tu comprends ce que tu vis. Comment est-ce que tu te situes à la suite de Christ et par rapport à l’Evangile ? Ce qui n’empêchera peut-être pas des conflits d’interprétation. Ces conflits ne vont peut-être jamais être résolus. Mais on peut dire à un certain moment : Comment est-ce que tu comprends cette image de Dieu que tu me renvoies ou comment tu l’as trouvée ? Il y a une référence : les Ecritures. Il y a un moment pour dire : Eh bien, il y a un Tiers entre nous. Je ne suis pas l’interprète infaillible des Ecritures, mais nous sommes tenus, toi et moi, de pouvoir trouver une cohérence entre ce que tu me dis et les Ecritures de référence. Il faut que tu expliques - et ce n’est pas facultatif - comment tu comprends la manière dont tu te situes aujourd’hui devant Dieu. Essaies de me le rendre compréhensible et je vais être responsable de te dire : Je le comprends. Ou : il me semble assez difficile de le comprendre ainsi. Comment tu fais avec tel autre texte ? On va ainsi passer, disons, de la parabole des deux fils à Job, de la Croix à Abraham qui s’en va, ou que sais-je. Il faudra essayer de voir dans quelle mesure ce que tu me dis tu peux le lire comme une manière d’éclairer ta vie à la lumière des Ecritures. Peut-être tu te mettras dans une école d’interprétation, tu te sentiras inspiré par tel ou tel écrit de théologien… Mais cette référence à un tiers oblige à réfléchir ses valeurs dans un certain cadre d’interprétation. Ceci est spécifique à l’accompagnement spirituel.
Répondre au sot… ou pas ?
Si j’ai situé ainsi pour vous l’accompagnement spirituel comme une certaine manière de prendre en compte une demande particulière d’écoute à l’intérieur d’une tâche pastorale plus vaste, c’est que je l’ai situé par rapport à l’accompagnement psychologique. On peut se demander quelles sont les situations dans lesquelles l’accompagnement spirituel peut être requis. Je vais vous lire deux brefs passages tirés des Proverbes, au chapitre 26 les versets 4 à 5. « Ne réponds pas au sot selon sa folie, de peur que tu ne lui ressembles, toi aussi. Réponds au sot selon sa folie, de peur qu’il ne s’imagine être sage. » On se pose la question s’il faut répondre au sot ou ne faut-il pas répondre au sot ?
Je vous propose en guise de commentaire de ces deux versets une petite histoire tirée des Apophtegmes des Pères, dans les Sources chrétiennes dans la Collection systématique, le 10,38. Abat-Peumene était interrogé par Abat-Joseph. Que faire lorsque les passions s’approchent ? Leur résister ou les laisser entrer ? Le vieillard lui dit : Laisse-les entrer et combats avec elles. Il revint alors à Cété et y demeura. Or un tebin qui venait par là lui disait : Je viens de demander à Abat-Joseph : Lorsque s’approche une passion, dois-je lui résister, ou la laisser entrer ? Et il m’a dit : Ne laisse jamais entrer les passions, mais dès la première attaque retranche-les aussitôt. Après qu’Abat-Joseph avait ainsi parlé au tebin, Abat-Peumene se leva, retourna à Panefau et lui dit : Je t’ai confié mes pensées, et voilà que tu as dis autre chose au tebin. Le vieillard lui dit : Ne sais-tu pas que je t’aime ? Et le vieillard dit : Oui. Il dit : N’as-tu pas dit : parle-moi comme à toi-même ? Voilà pourquoi je t’ai parlé ainsi. En effet, si les passions entrent et tu échanges des coups avec elles, elles te rendront plus éprouvé. Pour moi, je t’ai parlé comme à moi-même. Mais s’il en a d’autres pour qui il n’est pas bon du tout que s’approchent les passions, ils doivent aussitôt les retrancher.
Faut-il répondre au sot ou ne faut-il pas répondre au sot ? Faut-il laisser entrer les passions ou ne faut-il pas laisser entrer les passions ? C’est suivant. C’est suivant les caractères. Il y en a qui, s’ils laissent entrer les passions, ils vont se faire déborder par elles. Ils seront perdus. Il faut qu’ils mettent tout de suite le halte là. Il y en a d’autres qui y mettent tout de suite leur halte là. Ils vont rester avec toute une énergie à dépenser, complètement désœuvrés. On ne sait pas bien ce que deviendra cette énergie non-dépensée. Il vaudrait mieux qu’ils s’aguerrissent en la mettant à contribution. Dans cette situation, comme dans l’autre, il y a une manière de mettre en évidence la nécessité de discerner dans certaines situations. Il y a des situations où la réponse est tout faite. Mais il y a des situations où la réponse n’est pas tout faite. Vous ne pouvez pas prendre un livre de recettes et puis répondre à votre paroissien en disant : Eh bien dans ce cas-ci tu fais comme ça ou dans ce cas-là, tu fais comme ci. Il y a peut-être un code ecclésiastique pour répondre à certaines questions. Mais il y a un grand nombre de situations où il s’agit de discerner, c'est-à-dire de prendre la mesure de tout ce qui fait l’unicité de la situation. Cette personne, à ce moment-ci, en ce lieu-ci… Vous pourriez y ajouter… Tout cela fait que la réponse doit être la réponse appropriée pour elle.
Dans l’histoire de l’Apophtegme, cette capacité de discerner est conférée au père spirituel. C’est lui qui peut éprouver la personne qu’il a en face de lui. Il en a une connaissance quasiment aussi intime que de lui-même et il est capable dans cette situation de lui donner une réponse appropriée - qui va l’aider dans sa vie. Peut-être qu’il vaut mieux ne pas se prendre pour un père spirituel si les autres ne nous reconnaissent pas cette tâche. Peut-être vaut-il mieux - comme beaucoup de fois - comme dans l’Apophtegme - refuser de donner une parole un peu trop facilement à qui vous la demande. C’est facile de donner une réponse. C’est surtout facile quand ce n’est pas vous qui devez assumer les conséquences de la réponse.
L’accompagnement spirituel serait d’adopter une autre attitude : qui refuse de donner une réponse et de diriger la conscience de l’autre, mais qui aide la personne à discerner elle-même. Il mobilise chez la personne un questionnement, une mise en évidence des éléments qu’elle a pour elle-même repérés pour trouver la réponse qui serait appropriée pour elle. Non pas que je voudrais que l’accompagnement spirituel soit supérieur à la paternité spirituelle. Ce sont deux modes de relation entre personnes qui supposent des engagements tout à fait différents. Prendre la responsabilité de donner une réponse, c’est entrer dans une paternité spirituelle, entrer dans une relation où vous êtes comme celui qui enfante l’autre. Peut-être c’est justifié à un certain moment de répondre de cette manière là. Peut-être que l’autre, en face, vit une croissance spirituelle. Mais ce n’est pas de cela que j’aimerais parler aujourd’hui.
La question du discernement
J’aimerais parler de situations, où, du point de vue de la responsabilité prise par rapport au choix, il n’y a pas de supériorité de l’un par rapport à l’autre. Il y a simplement une compétence pour aider la personne à se repérer. Ce qu’elle faudra prendre en compte. Ce qu’elle reçoit dans sa méditation, dans son écoute intérieure. Peut-être en la mettant à l’épreuve pendant un certain temps pour trouver des éléments de réponse à la question qu’elle se pose.
L’accompagnement est plus qu’une écoute. C’est plus que simplement laisser la personne parler. C’est lui permettre de trouver une espace où elle peut mettre des mots sur ce qui lui arrive. Mais c’est aussi, effectivement, prétendre qu’un discernement est possible. Que l’on peut débrouiller quelque chose dans la vie de la personne qui semble difficile à analyser ou à comprendre. Qu’il y a peut-être des bonnes questions à poser. Qu’il y a des éléments qui ne sont peut-être pas mentionnés par la personne qu’il faut solliciter pour l’aider à prendre la mesure de l’ensemble de ce qui est en jeu dans la situation qu’elle raconte. Il faut avoir une certaine expérience de cette activité pour soi-même.
A partir de cet exemple, j’aimerais dire encore une chose sur cette question du discernement. Le discernement ne se limite pas à des situations de souffrance. La question de prendre position, de se situer dans la vie touche, bien sûr, la manière d’assumer et de traverser la souffrance, ou des situations d’épreuve. Mais aussi des décisions à prendre : des choix professionnels, des choix de vie, de se marier ou de ne pas se marier, un déménagement... Comment est-ce que je m’y prends pour savoir comment je vais décider ?
Vous savez certainement qu’Ignace de Loyola, lorsqu’il a mis en place ses Exercices, il l’a fait tout spécifiquement pour aider à discerner un choix tout à fait précis - qui consistait à savoir si l’on allait entrer ou non dans la Compagnie de Jésus. Il a mis en place un cadre qui doit permettre de confronter son désir - le mettre à l’épreuve pendant trente jours. Tel un militaire qui fait ses exercices d’armes pour vérifier s’il est au bon endroit, s’il est apte à ce type d’orientation dans sa vie ou s’il serait plutôt apte à une autre orientation dans sa vie. Mais il me semble que la question du discernement est quotidienne aussi. Nous ne sommes pas toujours devant des grands choix à prendre, comme des vocations. Il y a des situations dans lesquelles il s’agirait de savoir s’il l’on va aller à gauche ou à droite.
Je pense à un pasteur qui a fait partie de ceux qui avaient signés la Charte de ’77. A partir cet acte il est devenu chauffagiste dans les métros pendant quatorze ans. Cela l’avait mis hors cours. Et il disait : Bon voilà, j’avais signé et tout à coup j’étais dans un camp. J’avais des collègues qui n’avaient pas signés qui étaient tout à coup de l’autre côté. Qu’est-ce qui a fait que j’étais ici plutôt que là ? Il disait : C’est comme le train dans la vie. Les stations ne sont pas nombreuses. Une fois que l’on est monté ou descendu, cela ira encore pour un bon petit moment. Il faut attendre le prochain train, la prochaine station. Il y a des moments où l’on prend des décisions, mais en suite il y a à garder le cap. Discerner comment je reste fidèle par rapport à un choix que j’ai pris. Est-ce qu’il est judicieux de continuer sur la voie telle que je l’ai choisie ? C'est toute la question de l’exercice de sa liberté dans la vie au quotidien.
L’individualisme spirituel
J’en viens à la question plus spécifiquement du rôle et de l’importance de l’accompagnement spirituel dans la vie chrétienne. Dans le protestantisme on a tendance - même si ce n’est pas érigé en théologie ou en doctrine - à faire de l’individualisme spirituel une preuve de maturité. Il s’agirait de pouvoir conduire sa vie seul avec son Dieu. Il faut être faible ou perdu pour avoir besoin que quelqu’un vienne s’occuper de vous. C’est un type de réponse que vous avez peut-être déjà entendu lorsque vous téléphonez à quelqu’un à qui vous proposiez une visite et qui vous dit, comme cela m’est arrivé : Mais tout va bien, Monsieur le pasteur, je n’ai pas besoin que vous veniez me voir. Si nous cautionnons cette manière là d’envisager la conduite de sa vie, nous ne sommes pas à l’abri de risque de dérive. Des dérives qui seront inévitables lorsque l’on prétend à être son propre repère ou son propre arbitre. Comment est-ce que vous pouvez savoir à un certain moment que ce que vous croyez que Dieu vous dit à travers la méditation des Ecritures ou à travers le jugement critique que vous avez à partir de vos propres actions ? Comment est-ce que vous pouvez être à la fois juge et partie ? Comment est-ce que vous pouvez savoir que le point de vue que vous prenez n’est pas trop indulgent à votre égard et de vos travers ? Ou trop sévère à votre égard et à l’égard de ce que vous appelez vos travers ?
Si je pousse un petit peu, je dirais que chacun veut être le pape sans mettre en question l’exercice d’un jugement qui ne serait pas prêt à se laisser questionner par autrui. Nous sommes facilement capables de critiquer le dogme de l’infaillibilité pontificale qui permet à un être humain tout seul d’imposer une orientation de foi qui doit être la Vérité. Nous contestons cela. Mais chacun dans notre petite vie, est-ce que nous ne reproduisons pas exactement la même posture ? Est-ce qu’il faudrait dire ne faut-il pas être pape ? Nous voudrions simplement être tout seuls, à nous tous, chacun, l’Eglise catholique.
A partir de là j’aimerais dire quelque chose sur ce que je crois les gens attendent d’un pasteur aujourd’hui. Pour cela il faut prendre en compte la quête de spiritualité de plus en plus affirmée dans la société d’aujourd’hui. Je vous donne un sentiment, une impression que j’ai par rapport à cette quête. C’est mon impression. Cela ne vient pas des sondages testés et vérifiés. C’est plutôt quelque chose que je ressens comme ça. Peut-être je me trompe, on peut en discuter. Qu’st-ce que les gens attendent en particulier d’un pasteur - et pas seulement d’un pasteur, mais aussi d’un prêtre, d’un imam, d’un rabbin, d’une personne qui se présente comme étant professionnellement spécialiste de la relation avec les réalités ultimes ? Et bien, je crois que les gens attendent d’une telle personne qui se présente comme ayant ce statut là : qu’il soit un spirituel. J’oserais dire un maître spirituel.
Cela fait peur : de se faire prendre pour un maître spirituel. En effet, c’est quelqu’un qui a une certaine, disons « maîtrise » dans ce domaine des questions ultimes, existentielles. On pourrait dire qu’il est quelqu’un qui a l’expérience de l’écoute de Dieu dans sa vie. Cela concerne des situations extrêmement précises. Il s’agit de ne pas être trop démuni devant la question de la souffrance et de la maladie. Ne pas être trop démuni devant la question de la sollicitude, devant la question du doute. Est-ce que vous avez déjà fait cette expérience ? Comment vous vous y prenez ? On ne le dit pas, mais on suppose que la personne en face de soi s’y est confrontée, a traversé cela d’une certaine manière. La question de la mort, comme des expériences qui paraissent hors du commun.
Une dame dans l’un des mes cours m’a écrit : Il faut que je vous raconte une expérience. Elle l’a fait par écrit. C’était plus de dix ans après la mort de son mari. Alors qu’elle était toujours très déprimée, disait-elle. Un jour, elle était dans sa cuisine. Elle regardait par la fenêtre et elle dit qu’elle a vu tout le paysage devenir orange. Qu’elle a été habitée par une grande paix. Cela a duré quinze minutes et puis s’est arrêté. Elle a fait cette expérience. Qu’est-ce qu’elle va en faire ? C’est difficile d’être seule avec une expérience comme ça. Est-ce que je disjoncte ? Est-ce que c’est normal ? Si je vais le raconter à un médecin, est-ce qu’il ne va pas m’envoyer à un hôpital psychiatrique ? Est-ce que si je vous le raconte, vous allez pouvoir m’écouter ? Est-ce vous avez aussi des expériences comme ça ? Est-ce que c’est normal, quand on est croyant, d’avoir des expériences comme ça ?
La capacité d’écoute pastorale
Je crois que les gens s’attendent à ce qu’un pasteur soit quelqu’un capable d’écouter. Il a une capacité d’écoute de ce genre de choses un peu hors du commun - qui font un peu peur, parce que l’on est tout à coup seul dans son espèce par rapport à que l’on aura éprouvé. Et, puis aussi, l’absence de toute réponse. Quand il ne se passe rien. J’appelle, et puis la porte allait être fermée. Non pas depuis trois jours. Mais depuis dix ans. Depuis quinze ans. Comment est-ce que l’on fait pour tenir le coup, quand c’est ainsi ? Je crois que les gens s’attendent à avoir en face d’eux quelqu’un à qui on peut parler de cela en connaissance de cause. Cela suppose que le pasteur soit quelqu’un qui ne se refuse pas d’être confronté à ces questions, à ces angoisses, aux incertitudes que peuvent provoquer de telles situations. Que ce soit quelqu’un qui prenne un petit bout devant l’affrontement de la solitude. Qu’il est allé un petit bout devant l’angoisse de la mort, de sa propre mort, de sa propre solitude, de ses propres doutes. Qui est capable de ne pas être complètement déstabilisé en face de quelqu’un qui essaye de se faire entendre avec ses questions.
C’est de cela, je crois, que les gens parlent quand ils attendent quelque chose que j’ai intitulé « maître spirituel ». C'est-à-dire, c’est quelqu’un d’autre que mon voisin, ma voisine, de qui je ne peux pas a priori attendre cette capacité d’écoute. Cela va lui faire peur et il dira : Mais non, arrête, écoute, prends courage, tout va bien, la mort ce sera pour un autre jour. Ils ont envie de voir quelqu’un qui n’est pas simplement à leur dire de penser à autre chose, mais : Pensons-y. Dites-moi pourquoi vous y pensez maintenant ? Qu’est-ce que cela vous fait ?
Parlons maintenant du rôle et de l’importance de l’accompagnement spirituel. Quand on en arrive à cette demande d’écoute, je crois que l’on est alors devant une situation que je décrirais comme le fait de soumettre sa vie au regard bienveillant d’un autre. Que l’on décide - pas qu’il nous soit imposé - de soumettre sa vie au regard bienveillant d’un autre que l’on choisit. Et quand je dis bienveillant, je dis « bien » et je dis « veillant ». Qui veille à moi, veille sur moi. Qui ne va pas me laisser partir n’importe où. Pour moi, choisir de soumettre sa vie au regard bienveillant d’un autre, c’est le début de l’Eglise. C’est le début de l’Eglise, c'est-à-dire que c’est la confession de foi que je ne peux pas être chrétien tout seul. C’est une manière de marquer en acte le fait que je ne peux pas être le pape de l’Eglise catholique tout seul. Que je cherche ma voie et que j’ai besoin du regard d’un autre pour savoir que je ne dérive pas, que je ne sais pas tout seul. Ce qui ne veut pas dire que je ferai tout ce que l’autre me dit. Je resterai maître à bord de ma vie. Je reste celui qui va assumer mes choix. Mais j’écoute ce que l’autre me dit. J’essaye de comprendre s’il a l’air d’être dubitatif par rapport à certains de mes orientations, de mes choix, de mes préoccupations, de mes préférences. Nous savons le faire pour un certain nombre de décisions synodales, où nous allons décider ensemble. Nous choisissons d’organiser une concertation. Mais pourquoi est-ce que pour ma vie je devrai tout savoir tout seul ? Cela suppose - et c’est la question du discernement tout à l’heure - que la vie spirituelle, c’est la vie avec le Saint-Esprit. C’est la vie avec un Dieu présent, imprévisible, non encore totalement déterminé.
Je crois que dans le protestantisme on a eu tendance à réduire l’esprit à l’intellect et l’intellect avec les Lumières, à la Raison. Et que l’on a pensé que si l’on raisonnait correctement que l’on formait les gens, que l’on les envoyait à l’Université, que l’on leur apprenait à réfléchir correctement, alors ils allaient pouvoir par l’exercice de leur raison prendre des choix adéquats et donc bien discernés. Je crois aussi que le vingtième siècle nous a montré l’échec de la raison seule. Je crois que le vingtième siècle nous a confrontés à l’absurde d’une civilisation qui pensait que la raison nous conduisait sur le bon chemin. Il nous a montré les limites d’un seul exercice de la raison. Que Dieu ne se confond pas avec un être rationnel et raisonnable. Qu’il y a un au-delà du rationnel et du raisonnable, qu’il y a un au-delà de ce qui se déduit et de ce qui se calcule, qu’il y une part d’indéterminé, toujours ouverte, et qui fait que jamais on ne construira par une intelligence artificielle un alter ego digne de ce nom pour l’être humain. Que la marque de Dieu en chacun de nous se joue autour de cet in-décidé à construire ensemble, qui est pris en charge théologiquement à travers la notion de Vie, de l’Esprit. Vers quelque part qui n’est pas encore dessiné. Quelque part qui n’est pas encore construit, et qu’il nous faut chercher ensemble.
Si la vie spirituelle est cela et si elle nécessite d’être accompagnée, il y a deux points sur lesquels j’aimerais terminer. Le premier, c’est que vous l’avez certainement percé à travers de ce que j’ai dit, tout le monde n’a pas forcément envie de bénéficier d’un accompagnement spirituel. Pour désirer bénéficier d’un accompagnement spirituel, il faut avoir envie de prendre en charge un discernement spirituel dans sa propre vie. Il faut avoir envie de se demander : Cette épreuve que je traverse, ce choix qui m’est présenté, cette situation que je suis en train de vivre, quel sens je peux lui donner ? Cela demande une certaine maturité, dont je n’ai pas à juger quand elle doit venir ou ne pas venir dans la vie de l’autre. Je dois l’honorer comme un fruit d’une croissance qui fait que je deviens partenaire de Dieu, qui prend en charge sa vie, son témoignage, son Evangile. Dans cette Terre il a commencé par là dans ma propre vie. Ici je suis calviniste, qui crois en la sanctification, qui crois qu’il y a quelque chose à faire dans ce monde-ci et qui crois que nos choix ne sont pas indifférents lorsqu’ils permettent de rendre visible l’œuvre de Dieu dans ce monde-ci à travers nos actions et à travers ce que nous construisons. C’est un point.
Peut-on être pasteur sans avoir un pasteur soi-même ?
Et voici l’autre point. Si le pasteur est chargé d’aider - dans cette activité pastorale globale - à ce discernement qui lui est demandé, comment pourrait-il se présenter comme l’accompagnateur spirituel, s’il n’est pas lui-même accompagné, s’il n’est pas lui-même celui qui fait l’expérience, s’il n’est pas lui-même le témoin que l’on n’est pas chrétien tout seul ? Que lui-même mette à l’épreuve ses choix. Et je dirais, non seulement pour être crédible, mais surtout parce que d’une manière ou d’une autre, et vous le savez par votre expérience, qu’il y a des moments où le pasteur est le dernier d’une chaîne dans l’écoute et dans l’accompagnement pastoral. Vous faites l’expérience de la solitude des responsables, de ceux à qui l’on a dit des choses et qui n’ont plus quelqu’un dans la paroisse à qui l’on pourrait le dire. Il y a la prière. Il y a ceux qui se sont confiés à moi, et je vais me confier à mon tour à Dieu. Mais je crois que faire Eglise, n’est pas seulement être spirituel, mais faire Eglise, c’est aussi savoir qui est mon référent. Qui est celui auprès de qui moi je vais me tourner ? C’est une question que j’ai envie de vous poser, que j’ai envie de poser aux pasteurs : Au fond, qui est mon pasteur ? Comment est-ce que je prétends être pasteur si je n’ai pas de pasteur ? Suis-je un être humain si différent des autres êtres humains que je serais devenu « in-pastorable » (sic) ?
Et puis, je dirais - et ce sera mon point de conclusion - que la responsabilité de l’accompagnement n’est pas seulement une responsabilité de l’accompagnement des individus, mais aussi de l’ensemble du Corps. Ma question, au fond, par rapport à vers où va l’Eglise, c’est de savoir quels sont les lieux où j’écoute, où je peux écouter ensemble avec d’autres ce que l’Esprit dit aux Eglises ? Ce qui est autre chose que simplement de faire un travail de gestion collective. Dans cette tâche d’écoute, où est-ce que va l’Eglise ? Vous avez des synodes. On a des moments de réflexion. On a des moments d’enseignement, de travail réflexif. Mais il y a peut-être aussi un moment pour accompagner cela. Et à ce moment là, parce que c’est tout un Corps, peut-être à accompagner ensemble. Où est-ce que j’ai de ces lieux ? Je crois que c’est vraiment la question : Où est-ce que j’ai un lieu, où est-ce qu’il y a des lieux pour être pasteur ensemble ?
J’ai été appelé récemment pour faire un travail de supervision avec des moines qui sont maîtres de novices dans des monastères. Il y a un maître de novice par monastère. Et bien, ils éprouvent le besoin, à un certain moment, de se réunir. De ministères entre eux pour partager des expériences qu’ils sont seuls à avoir, qu’ils ne peuvent pas partager à quelqu’un d’autre dans leur monastère. Ils ont quelqu’un qui est comme eux, embarqué dans la même tâche. Ils ont aussi d’autres questions sur qui sont les jeunes qui se présentent aujourd’hui, quelle est la société qui vient nous rencontrer aujourd’hui ? En mettant ensemble leurs expériences, ils ont un moyen de ne pas suffire seulement à leur propre impression. Mais de vérifier si cette impression est généralisable. De la compléter, de l’ajuster. Et je crois que c’est extrêmement important. Quels sont les besoins spirituels des gens aujourd’hui ? Quels sont les besoins spirituels du monde aujourd’hui et où est-ce que nous les écoutons ensemble ? C’est ma question sur laquelle j’aimerais terminer quand je parle de la spiritualité du pasteur. Merci de votre attention.
(Texte transcrit d’après l’enregistrement audio-phonique)
* Pierre-Yves BRANDT est vice-doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne, professeur de la psychologie de la religion aux Universités de Lausanne et Genève. Ses travaux portent notamment sur les modes de symbolisation utilisés par le discours religieux. Son enseignement actuel vise à définir et confronter quelques éléments de psychologie, de psychanalyse et de théologie afin de discerner les apports et les limites de l'application de la psychologie dans le domaine de la religion en général et de la foi chrétienne en particulier.