Daniel Gaubiac est trésorier de l’Eglise Réformée de France.
Le thème retenu pour cette journée est : «le dessous des sous. Faut-il refaire une théologie de l’argent ? » Je pense que le professeur Müller dans sa conférence, ce matin, vous a proposé un certain nombre de pistes à explorer pour alimenter votre réflexion et s’est peut être même risqué à donner un début de réponse à cette question. Pour ma part, dans mon exposé je vais traiter du sujet suivant « le dessous des sous : l’argent dans l’église ».
Celui-ci est organisé autour de deux points pour :
1.dans un premier temps nous demander pourquoi parler de l’argent dans l’église est un sujet tabou ?
2.dans un second temps, à la lumière de ce qui se vit dans les églises locales, de leurs contraintes, de leur environnement, expliquer que l’église ne peut éviter de recourir à l’argent pour exister et remplir sa mission au sein de notre société moderne.
I - L’argent : un sujet tabou dans l’église. Pourquoi ?
Tout trésorier de conseil presbytéral sait très bien combien il est difficile, voire impossible d’aborder le thème de l’argent. Dès que ce terme est prononcé il en est qui disent « nous ne sommes pas une entreprise, nous ne sommes pas capitalistes, nous ne sommes pas matérialistes, nous ne sommes pas dans le monde profane donc parler argent dans l’église est déplacé voire anti-spirituel ». Dès lors on renvoie ce cher et bien aimé trésorier à ses chères études et on passe à un autre sujet. De même lorsque le trésorier indique au conseil que les finances sont au plus bas et qu’il ne peut plus honorer les engagements pris on lui répond « on te fait confiance, c’est ton affaire, on te laisse toute latitude pour engager l’action que tu estimes nécessaire pour redresser la barre. On en reparle le mois prochain si la situation ne s’est pas améliorée ». A contrario, si ce même trésorier intervient dans une réunion du conseil pour dire que les finances sont au plus haut, alors, un débat se fait pour savoir ce que faire de cet argent ? Certains disent plaçons le pour toucher des intérêts et gagner de l’argent avec l’argent ; d’autres disent c’est l’occasion de changer la voiture pastorale ou d’installer une sono dans notre temple car des fidèles se plaignent de mal entendre. Bref, trop d’argent suscite débat parfois passionné ; manque d’argent suscite silence et désintérêt. Cette réalité, à peine exagérée, est présente dans nombre d’églises locales même si des efforts sont faits pour encourager un conseil presbytéral à faire de l’animation financière, même si on a le souci de ne pas laisser le trésorier seul face au problème de l’argent.
Pourquoi, est-il si difficile, pour beaucoup, d’assumer cette réalité de la vie de nos églises ?
Répondre à cette question c’est sans doute démystifier et déculpabiliser la notion de l’argent dans l’église.
Pour tenter une réponse à ces pourquoi je vous propose de traiter tour à tour les points suivants :
1 – que dit le texte biblique ?
2 – que nous enseigne l’histoire ?
1 – que dit le texte biblique :
Lorsque nous ouvrons notre Bible et la lisons on constate que l’argent est un thème récurrent. Est-ce surprenant ? Bien sûr que non ! En effet, depuis des siècles l’argent fait partie de notre quotidien. De ce fait, il aurait été étonnant que la Bible n’en parlât point.
Trois visions de l’argent apparaissent dans le texte biblique.
1ère vision – l’argent : une bénédiction de nombreux passages développent cette vision J’en citerai deux. Tout d’abord dans le livre de la Genèse au chapitre 26, les versets 12 à 14.
Dans ce passage la richesse est un don de Dieu. C’est Dieu qui donne à l’homme tous les biens dont il jouit.
Dans le livre du Lévitique au chapitre 23 et aux versets 10 à 14, cette même idée est reprise, illustrée par l’offrande des prémices.
Dieu donne la richesse et l’argent mais il attend aussi qu’on lui rende en partie de ce don et qu’on lui marque fidélité et reconnaissance.
2ème vision – l’argent : source de condamnation Pourtant si l’argent est une bénédiction de Dieu il se trouve de nombreux passages qui condamnent les détenteurs d’argent.
Dans le livre du prophète Amos au chapitre 8, v 4 à 7.
Ce passage nous explique clairement pourquoi l’argent, source de bénédiction, devient source de condamnation de celui qui, détenant des richesses, veut amasser toujours plus et de ce fait, ignore le pauvre et ne lui vient pas en aide. Car, pour que bénédiction il y ait, le riche doit avoir le souci de son prochain dans le besoin et s’en occuper. Tel est l’un des enseignements de la parole de Dieu à propos de l’argent.
Dans le livre d’Esaïe au chapitre 58 et aux versets 6 et 7 cette préoccupation du pauvre est encore mentionnée.
Ce discours qui donne le mode d’emploi de l’argent possédé en mettant en bonne place le secours aux pauvres, ne laisse pas le choix au riche. Il doit appliquer. Il doit exécuter. Pourtant, malgré ces recommandations, ces conseils, ces ordres, le riche est suspect :
•Suspect de garder pour lui seul le don de Dieu,
•Suspect de s’enrichir sur le dos d’autrui
•Suspect de ne pas être fidèle à Dieu.
Et voilà comment nait cette culpabilité face à l’argent. Et voilà comment l’argent devient sujet tabou dans l’église.
3ème vision – l’argent : un concurrent de Dieu. Dans le nouveau testament apparait cette autre vision de l’argent
Ainsi en est-il dans l’évangile de Luc au chapitre 12 v 16 à 20.
Cette parabole nous enseigne précisément que :
•amasser des richesses pour le plaisir d’amasser,
•amasser des richesses pour son seul profit,
•ne pas partager les richesses acquises est contraire au plan de Dieu qui condamne cette attitude.
Et voilà comment se renforce cette culpabilité face à l’argent. Car dès lors que nous détenons quelques richesses, la préoccupation première n’est pas de partager ou en faire profiter autrui mais elle est de chercher, par tout moyen, à faire fructifier cette richesse pour en avoir encore plus. D’ailleurs, la Banque est là pour nous proposer toute sorte de services et produits pour atteindre cet objectif. Comment savoir alors si je suis dans le plan de Dieu ou pas ? Comment savoir si je fais un bon emploi de l’argent gagné ? Comment savoir jusqu’où je peux aller dans cette voie de la thésaurisation ?
2 – Que nous enseigne l’histoire ?
Cela dit, nous plongeant dans l’histoire de l’humanité, nous constatons aussi que l’argent y est, de tout temps, présent.
Ainsi, vers l’an 1800 avant notre ère, la Bible dans Genèse 23 verset 16 nous indique qu’Abraham a payé 400 sicles d’argent un terrain qu’il venait d’acquérir pour enterrer son épouse Sara récemment décédée.
Le peuple d’Israël a utilisé de l’argent pour mener à bien sa politique et connaître ainsi la paix. Le peuple d’Israël a encore utilisé l’argent pour se livrer au commerce. A l’époque de Jésus, l’argent était employé pour acheter les biens nécessaire à l’existence, payer ses impôts, verser un salaire, etc…
Au temps des apôtres, la richesse est source de solidarité entre les églises car l’argent y est inégalement réparti. Certaines églises sont dans l’opulence tandis que d’autres manquent de tout. C’est pourquoi, Paul demande à Corinthe, qui fait partie des églises riches, de venir en aide aux chrétiens démunis d’autres églises et de ne pas oublier le devoir d’assistance matérielle envers autrui.
Sous le règne de Constantin par l’édit de Milan en 313, les chrétiens obtiennent le droit d’exercer publiquement leur culte et de vivre selon leur foi. Cet édit marque le début de la croissance de l’église, de sa puissance et de sa richesse. Au fil des siècles l’église devient une composante essentielle de l’ordre social et compte comme l’un des trois ordres de la société médiévale. Son pouvoir temporel l’emporte même parfois sur son pouvoir spirituel et le chef de l’église est mis au même rang que les plus grands souverains de l’époque. C’est alors que l’église, dans ce contexte, pour préserver son rôle ecclésial, développe une théologie du salut et généralise partout où elle est présente un enseignement du salut.
Et c’est cette culture du salut qui domine au Moyen Age. Cette culture est si présente et si recherchée alors que des fidèles, considérant qu’avec l’argent on peut tout, cherchent à obtenir le pardon de leurs péchés par le versement d’une somme d’argent à l’église et l’église elle-même s’est prêtée au jeu en organisant sous divers prétextes justifiés ou non de nombreuses manifestations telles les croisades au 11ème et 12ème siècles qui furent pour certains monarques, chevaliers et nobles une opportunité pour le rachat de leur âme tout en défendant la terre sainte. Mais, la pire des choses, pour beaucoup, fut « l’appel à la rémission partielle de ses pêchés contre une aide substantielle aux œuvres de l’église » décrétées par le pape Léon X en 1516. Des sommes colossales furent alors collectées, en particulier par les Dominicains qui ont été chargés par le pape d’organiser une campagne de collecte en Allemagne. C’est que l’église avait besoin de beaucoup d’argent pour la construction de nombreuses églises dont Saint Pierre de Rome et pour subvenir aux frais d’un clergé en surnombre.
Par l’argent nombre de pêcheurs ont évité l’excommunication. Cette pratique dite des indulgences fut vigoureusement combattue par Luther et le conduisit à être l’un des fondateurs de la Réforme protestante à partir de 1520.
Dès lors l’argent, suspect ? Oui, car le pauvre ne pouvait avoir accès au salut et le riche, aussi méchant et mauvais soit il, apparaissait comme celui qui pouvait tout acheter jusqu’à son salut. Argent suspect car à l’origine de corruption, de malheur et surtout d’injustice pour beaucoup.
Au 16éme siècle, le protestantisme a été à l’origine d’une autre culture du salut : le salut par l’économie, comme l’a montré Max Weber. Ici l’argent gagné devient le signe de l’élection divine, son accumulation une bonne chose. La notion d’argent suspect disparait pour partie. Est réhabilité celui qui gagne de l’argent dans les « affaires » dès lors que cet argent est investi dans l’économie, sert à créer de la richesse, de l’emploi et contribue à donner du pouvoir d’achat.
De même a été réhabilité le prêt à intérêt qui fut interdit par l’église catholique quelques siècles avant. En effet, le prêteur, prend un risque lorsqu’il prête de l’argent à un tiers. Il est donc normal qu’il perçoive un intérêt comme compensation de ce risque pris.
De même a été remise au goût du jour, l’utilisation de la lettre de change qui était apparue, sans doute, au 11ème siècle chez certains ordres religieux qui recevaient en dépôt des biens et des richesses des croisés qui partaient en terre sainte. Contre remise d’une lettre, ces croisés pouvaient en cours de route, obtenir l’argent nécessaire pour poursuivre leur chemin et pour certains, entretenir une armée.
Cette lettre de change fut une technique très employée par les marchands médiévaux sur les grandes foires pour s’accorder des délais de paiement contre le versement d’un intérêt.
En définitive, que l’on se réfère au texte biblique, que l’on étudie l’histoire, que l’on ait un regard sur l’économique nous constatons que dans tous les cas, ce sont les motivations, les mobiles, les utilisations faites des richesses, les objectifs poursuivis par ceux qui détiennent l’argent qui est toujours en cause et objet de critiques. L’amour de l’argent est condamnable car il devient, alors, instrument du mal. Il est source d’égoïsme, d’individualisme, du chacun pour soi. Il est source de conflit, d’intrigue, de spoliation, de malversation, d’envie.
L’argent en soi n’est pas mauvais dès lors qu’on lui conserve la fonction d’unité de compte et la fonction d’intermédiaire de l’échange pour lesquelles il a été créé en veillant à ce que la monnaie, dans ces fonctions de facilitation de l’échange économique, ne devienne pas un frein qui empêcherait l’accès à l’échange de celui qui ne dispose pas ou peu d’argent.
Cela dit, l’argent tabou dans l’église ? Oui, par ce qu’on projette une image négative sur l’argent qui met mal à l’aise, qui culpabilise, qui crée des inégalités et qu’on voit en lui, une matière sale, une source du péché.
Refuser de parler de l’argent dans l’église, rester discret sur sa richesse et son origine, c’est en quelque sorte jeter la suspicion et admettre finalement que tout n’est pas clair.
Argent tabou oui ; tout simplement par ce que l’église,
1.n’est pas armée pour tenir un discours,
2.n’a pas créé un enseignement sur et de l’argent et ne forme donc pas ou peu ses ministres et futurs ministres à cette notion, à son rôle et à sa place,
3.ne dispose sans doute pas d’une théologie de l’argent comme elle dispose d’une théologie du salut, de la grâce.
C’est une autre culture de l’argent qu’il nous faut acquérir et développer ; culture qui brise tous les tabous et permette d’aborder librement, simplement et très naturellement le sujet de l’argent tout comme on aborde le sujet de l’évangélisation, de la formation des membres laïcs.
A ce stade de notre réflexion sur le thème « le dessous des sous : l’argent dans l’église », le moment est venu, me semble t il, de se demander si l’église peut exister sans argent ; si elle peut remplir sa mission d’annonce de l’évangile sans argent.
2 - L’église peut elle exister sans l’argent ? Peut-elle remplir sa
mission d’annonce de l’évangile sans argent ?
Nos contemporains, nos gouvernants, nos économistes disent souvent que « l’argent est le nerf de la guerre » pour signifier combien l’argent est au centre de nos préoccupations. Que nous soyons entrepreneur, salarié, commerçant, étudiant, engagé dans une association, dans une église, nous avons besoin d’argent pour satisfaire les besoins, atteindre des objectifs, vivre. Dès notre plus jeune âge l’argent envahit notre quotidien et qui n’a pas entendu tel ou tel de nos amis, de nos parents, de nos trésoriers dans l’église s’interroger sur le moyen de faire face à une échéance importante, faute de suffisamment d’argent.
Peut-on aujourd’hui, se passer de l’argent dans l’église ? A cette question la réponse est évidemment non. Pourquoi ?
L’argent est partout. Dans sa fonction d’échange, il est l’intermédiaire obligé pour réaliser tout achat, toute vente, toute transaction. Tout agent économique ne peut l’ignorer ou s’en passer s’il veut exister et vivre.
1 - Sous l’angle juridique
L’église est un agent économique et comme tel, elle est au centre d’un système d’échange où se rencontrent deux flux, un flux entrant et un flux sortant. Ces flux selon le cas sont des flux matière, service, échange ou monétaire. L’église est, juridiquement, une association : personne morale à laquelle il est fait obligation d’appliquer un certains nombre de dispositions légales comme :
•élire un conseil d’administration et un bureau,
•tenir une comptabilité,
•réunir, une fois l’an, ses membres en assemblée générale.
Et nous pouvons constater ainsi que la loi retient comme postulat, comme a priori, qu’une église pour exercer son activité cultuelle a recourt à l’argent. La loi n’envisage pas, n’imagine pas un seul instant une alternative, une option qui rendrait possible à une entité économique, juridique et morale d’exister, de se livrer à son activité sans avoir recourt à l’argent. Et cela est tellement vrai que, au cours de son assemblée générale, le conseil presbytéral doit rendre compte de sa gestion et demander un vote d’approbation du budget présenté par le trésorier. Ne pas se soumettre à ces obligations aurait pour conséquence immédiate la dissolution de l’association cultuelle concernée par les autorités administratives du pays et donc, l’interdiction d’exercer la mission ecclésiale.
Ainsi, la loi, en édictant des règles précises et en soumettant une association à un formalisme et une rigueur de gestion, oblige l’église à s’insérer dans le processus de l’échange dans lequel le rôle de l’argent est fondamental.
2 - Sous l’angle de la vie locale :
Pour exister, pour se développer, pour assurer ses missions, l’église dispose de biens mobiliers et immobiliers, de ministres, de services publics. Elle accueille du public dans ses locaux.
S’agissant des biens mobiliers et immobiliers : un entretien régulier, des adaptations, des mises aux normes, des modifications, des renouvellements sont nécessaires. Pour le faire, l’église doit faire appel à des entreprises, elle doit acheter, investir, remplacer. Toutes ces actions génèrent des échanges qui sont pour partie matière et pour partie monétaire.
Dans ses locaux, un sinistre peut survenir, le public est accueilli, des fidèles se réunissent, organisent des manifestations, etc…
Imaginons un instant quelles seraient les conséquences pour une église qui n’assurerait pas ses bâtiments, qui ne souscrirait pas un contrat dit de responsabilité civile. En effet, si un bâtiment n’est pas assuré le capital qu’il représente peut être réduit à néant si un sinistre survient. En accueillant du monde dans ses locaux, l’église doit se protéger comme personne morale et protéger les personnes qui fréquentent les lieux. Par exemple : une personne qui assiste à une manifestation est victime d’une chute. Elle tombe lourdement et heurte sa tête contre un banc. Hospitalisée, on diagnostique un traumatisme qui a pour conséquence des séquelles graves et irréversibles. Procès est alors intenté à l’église par cette personne ou ses ayants droit pour faire valoir ses droits et une condamnation est prononcée au terme du procès qui oblige l’association à verser à la victime une importante somme d’argent. Si l’association est assurée ce sera la compagnie d’assurances qui, se substituant à sa cliente l’église, suivra le procès et y représentera l’église, sa cliente. C’est la société d’assurances ensuite, qui versera la somme d’argent demandée. Sinon, en l’absence du contrat d’assurances, ce sont les responsables de l’association qui doivent s’obliger à donner cet argent à la victime.
Encore, pour tenir les activités dans les locaux il est nécessaire de chauffer, d’éclairer, de disposer de l’eau. Tout cela entraine des consommations qui génèrent des factures ; lesquelles ne peuvent être payées qu’en versant une somme d’argent.
Nos églises contribuent à la formation d’étudiants en théologie ; elles emploient des ministres et les forment. Ces ministres reçoivent une rémunération en contre partie du service dans l’église. Cette rémunération ne peut être versée que sous la forme monétaire. En effet, dans notre organisation économique, selon notre législation, il est impossible que le ministre puisse être rémunéré sous une autre forme (par exemple en nature).
L’église, dans le cadre de sa mission dans l’église universelle, est en lien avec des frères et des sœurs membres d’églises situées sur d’autres continents. Pour concrétiser ce lien, l’échange de personnes se fait, l’envoi de matériel divers est courant. Cependant, tout cela est limité et souvent insuffisant. L’aide financière directe est aussi nécessaire.
Cela dit, ces quelques exemples pris dans le quotidien de la vie d’une église, mettent en lumière qu’il n’est pas possible de se passer de l’argent sauf à vivre en autarcie sans relations avec quiconque. L’argent est présent quelle que soit la nature de l’opération faite, un flux matière ayant toujours pour contrepartie un flux monétaire. Et, de ce fait, une église qui serait tentée de vouloir se passer de l’argent, en ne privilégiant que les flux matière, donc le troc, et en s’abstenant de tout recours aux flux argent, serait rapidement empêchée d’agir tout simplement parce que sans argent, dans notre organisation économique actuelle, elle ne pourrait trouver à satisfaire tous ses besoins. Elle serait, dès lors, rapidement privée des moyens lui permettant de remplir sa mission et de tenir ses engagements.
Venant d’illustrer par quelques exemples que l’église ne pouvait se passer de l’intermédiaire argent, il est maintenant nécessaire de s’interroger sur l’origine des fonds dont dispose les églises.
Origine et répartition des fonds
Depuis la loi de 1905, sur la séparation de l’église et de l’état, l’état ne subventionne plus aucune église par des fonds publics sauf celles d’Alsace – Lorraine relevant toujours du régime concordataire.
De ce fait, l’argent que reçoit l’église lui est donné par les fidèles, membres des communautés locales. Ainsi, l’église catholique, qui a institué en 1860 le paiement annuel du denier du culte, organise chaque année un appel aux fidèles dans tous les diocèses dans le monde. En 1990, cet appel aurait rapporté la somme de 58 millions de dollars US.
L’église réformée de France, toutes églises locales confondues, a, en 2007, reçu des fidèles sous forme de dons et legs, une somme importante de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Comment est répartie cette somme d’argent ?
Une église locale qui reçoit 100 € de ses fidèles :
1.conserve, environ, 25 € pour la vie paroissiale locale et consistoriale (dont entretien des bâtiments, desserte, etc…),
2.verse 75 € à la région dont elle dépend.
La région, qui a reçu 75 € :
1.reverse 26 € à l’union nationale,
2.affecte 32 € pour le paiement des salaires des ministres occupant des postes en paroisses, nommés sur des postes spécialisés et pour la solidarité,
3.consacre directement 10 € à la vie régionale,
4.contribue à l’action missionnaire pour environ 6 €.
Cet argent n’est pas thésaurisé. Il est utilisé, comme je le précisais précédemment, pour verser les salaires et les retraites aux ministres et anciens ministres, pour payer les charges sur les salaires, la mutuelle, pour assurer l’entretien des bâtiments nécessaires à l’exercice du culte et au logement de la famille pastorale, pour faire face à ses coûts de gestion, pour mener à bien des projets d’évangélisation, de formation des jeunes et des membres de l’église, de construction de nouveaux bâtiments, etc….Et malgré le montant important des dons, collectes et legs reçus, l’église doit être très prudente dans le choix de ses priorités, dans ses décisions d’investir et de dépenser car elle n’a pas les moyens de faire autant qu’elle le voudrait même si elle fait déjà beaucoup avec ce qu’elle reçoit. Et bien que les sommes données chaque année soient en légère augmentation, nous constatons que, au fil des ans, le nombre des donateurs diminue et que, en conséquence, l’effort financier est de plus en plus important pour ceux qui restent.
Pourquoi cette situation ?
Première piste d’explication : une culture du don qui se perd, moins de revenu disponible donc moins de don à l’église, les générations 18 à 40 ans ne fréquentent pas ou peu l’église, les revenus des retraités qui sont la majorité des fidèles sont plus faibles qu’autrefois.
Seconde piste d’explication : l’image que les français ont de l’église par rapport à l’argent est plutôt négative. Lorsqu’on les interroge ils disent en majorité qu’ils trouvent que l’église ne parle pas clairement et en toute transparence de l’argent et de sa situation financière (référence surtout à l’église catholique). S’ils pouvaient choisir l’utilisation de leurs impôts ils sont une majorité à dire qu’ils n’accepteront pas de financer l’église.
C’est pourquoi, pour changer cette situation, comme gestionnaire de cet argent, les conseillers presbytéraux, les conseillers régionaux, les conseillers nationaux ne doivent pas oublier que l’argent ce sont les fidèles qui le donne à leur église. Ils doivent le gérer en « bon père de famille » et être particulièrement vigilants quant à l’usage qui est fait de cet argent. La gestion de ces sommes d’argent requiert de la transparence, un minimum d’organisation et de maitrise. Des dispositions doivent être prises et l’on doit veiller à ce qu’elles soient appliquées et respectées si l’on ne veut pas que l’argent corrompe la l’église, si l’on ne veut pas être suspectés de négligence, de fraude, de détournement, etc...si l’on ne veut pas perdre la confiance que font les fidèles au trésorier et aux conseillers. En effet, chaque fois qu’un doute existe dans la gestion de l’église, il y a aussitôt une baisse significative des dons et une perte de confiance du fidèle qu’il est ensuite difficile et long de rattraper.
Et c’est pourquoi, pour éviter autant que faire se peut, de connaitre ce type de situation, un certain nombre de règles de gestion ont été mises en place et des dispositions prises.
Au nombre de celles-ci, j’en retiens deux :
1 - la vérification des comptes. Cette obligation, inscrite dans la loi sur les associations, est d’application relativement récente dans l’église. Elle a été rendue nécessaire, à la suite d’un certain nombre de dérives dans la gestion de certaines associations. Désormais, le conseil presbytéral nomme pour trois ans un membre de l’église comme vérificateur des comptes. Sa mission s’exerce annuellement aussitôt que l’exercice comptable est arrêté par le trésorier. Elle a deux dimensions : vérifier que tous les mouvements comptables enregistrés sont justifiés et que les obligations légales sont respectées (autorisation de délivrer les reçus fiscaux, mandat de gestion donné, registre des donateurs tenu, relevé des décisions financières fait, etc…). Au terme de sa vérification, le vérificateur rédige un rapport de vérification qu’il remet au président du conseil presbytéral qui en fait lecture au conseil. Dans ce rapport, il note notamment tout manquement aux règles de gestion, toute absence de justificatif d’un mouvement comptable, toute absence d’une délibération, etc. Cette procédure a pour objet de rendre plus transparente la gestion de l’association cultuelle et d’aider à opérer les changements nécessaires s’il y a lieu. Elle est là aussi pour confirmer la qualité du travail du trésorier et du conseil dans cette dimension de la vie de l’église.
2 - Une gestion comptable unique et informatisée : les contraintes légales qui pèsent de plus en plus sur les associations, a rendu nécessaire la formalisation des principes et des règles comptables ; l’utilisation d’un plan de comptes commun à toutes les églises et l’informatisation de cette gestion. Tout cela pour aider les trésoriers à mieux assumer leur responsabilité tout en leur facilitant la tâche. En effet, nous ne devons pas oublier que, parmi les trésoriers en place, il en est un certain nombre, voire une majorité, qui ne sont pas comptables et qui n’ont jamais occupé de poste de trésorier auparavant. Par ailleurs, la mise en place d’une gestion comptable informatisée et unique répond à une préoccupation essentielle, celle de l’harmonisation des procédures et des modes de gestion de toutes les églises locales dans le but de rendre encore plus transparente cette gestion et dans le but de pouvoir répondre face aux autorités de tutelle de notre bonne foi et de notre intégrité.
C’est ainsi, en progressant dans la mise en commun de bonnes pratiques, en devenant plus professionnel dans nos méthodes de gestion, en appliquant strictement des règles précises que, d’une part, nous serons en mesure de faire disparaitre la dimension négative de l’argent, modifier et faire modifier le comportement que les uns et les autres ont face à l’argent dans l’église. C’est en expliquant et en montrant ce qui est fait de l’argent qui nous est confié par les donateurs que nous pourrons convaincre de nouvelles personnes à donner à l’église. C’est aussi en parlant de l’argent pas seulement quand il en manque et qu’un appel est alors fait pour demander un don supplémentaire que l’on démystifiera l’argent dans l’église. Reposant sur un message simple, il faut, régulièrement
1.expliquer pourquoi l’église fait appel aux donateurs pour avoir des sous,
2.concevoir un projet d’église qui décrive les actions et les résultats visés et qui précise les sommes d’argent nécessaires envisagées pour faire vivre ce projet.
3.rendre compte des réalisations faites avec l’argent.
Pour conclure, je voudrais préciser encore que l’argent est un élément important de la vie de l’église. En faire un bon usage c’est quelque part rendre témoignage à Dieu et c’est être respectueux des donateurs qui parfois font un grand effort pour maintenir leur don à l’église alors qu’ils connaissent peut être le chômage, la maladie, tout autre accident de la vie.
Nous devons :
1.avoir confiance et faire confiance,
2.réfléchir aux scandales financiers qui alimentent trop souvent les unes de la presse pour en tirer des enseignements sur ce qui peut être fait ou pas fait,
3.réfléchir aux grands défis économiques actuels,
4.s’intéresser aux expériences qui limitent l’emploi de l’argent au strict nécessaire,
5.préciser notre attitude et se situer face à l’argent.
Pour nous y aider, voici ce que Luc écrit au chapitre 3 de son évangile. Lisons les versets 11 à 13
« Alors, les foules demandent à Jean ce qu’il faut faire ? Il leur répond : celui qui a deux vêtements doit en donner un à celui qui n’en a pas. Celui qui a de la nourriture doit en donner à celui qui n’en a pas.
Des employés des impôts viennent voir Jean et lui disent qu’est ce qu’il faut faire ? Jean leur répond : vous savez ce qu’on doit payer pour l’impôt. Alors ne demandez pas plus.
Des militaires demandent à Jean « et nous qu’est ce que nous devons faire ? Jean leur répondit : « ne prenez de l’argent à personne, ni par la force, ni par le mensonge. Contentez-vous de votre salaire ».
Ces trois réponses de Jean montrent l’attitude que nous devons avoir face à l’argent :
•se soucier de son prochain,
•partager son argent avec autrui,
•être honnête et juste c'est-à-dire ne pas voler, ne pas tromper l’autre, son prochain,
•se satisfaire de l’argent que nous avons et, en conséquence, ne pas vivre au dessus de ses moyens.
Et, n’oublions pas que Dieu veut le bonheur de l’homme et sa volonté est que l’argent contribue au bonheur de l’humanité.
L’argent est une bénédiction de Dieu. L’argent à l’église est un don de Dieu qui doit permettre à l’église de vivre et de perpétuer le message biblique ici et ailleurs. L’argent est, en conséquence, une des voies nécessaires, voulue par Dieu, pour que l’église existe aujourd’hui, demain et pour les siècles des siècles.