Jean Volff a été procureur général de la Cour d’Appel de Toulouse. Membre de l’Eglise Protestante de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Loraine, il est président de la Commission Justice et Aumônerie des prisons de la Fédération Protestante de France.
Introduction.
En préambule je voudrais bien distinguer des expressions assez proches, que parfois l’on confond : liberté de conscience, tolérance, liberté de culte, pluralisme, liberté religieuse.
La liberté de conscience, c’est le droit pour un individu d’adopter les croyances de son choix, d’en changer s’il lui plaît ou de n’en avoir aucune. Elle comprend aussi le droit de conformer sa vie aux convictions qui sont les siennes, de les transmettre à ses enfants, comme à tout humain et d’exprimer celles-ci publiquement et librement. « Dans le for intérieur elle est absolue et sans aucune restriction. Dans le domaine des manifestations
extérieures, même individuelles, elle est limitée par les égards dus aux opinions et à la liberté d¹autrui » (M. Bazoche).
La tolérance est le respect de la liberté d’autrui, de ses manières de penser et de vivre et de ses opinions religieuses. Elle est fondée sur la liberté de conscience.
La liberté de culte, est le droit pour une communauté de personnes partageant les mêmes croyances de s’assembler et de pratiquer librement et publiquement le culte correspondant à celles-ci. Mais elle implique aussi l’autonomie interne des cultes, c’est-à-dire le droit pour ceux-ci de s’organiser librement et de définir eux-mêmes leurs règles de vie en commun, ainsi que le droit de jouir de la personnalité juridique et de disposer d’un
patrimoine et de ressources financières.
Le pluralisme religieux, c’est la situation d’une société où cohabitent harmonieusement et librement diverses religions.
Enfin la liberté religieuse est le principe de gestion publique du pluralisme religieux.
La liberté de conscience est première, les autres principes rappelés ci-dessus n’en sont que des dérivés. Elle est intimement liée à l’identité même de l’individu et à sa dignité. Reconnue en principe par le droit international, notre constitution et le droit français, son autonomie par rapport à d’autres libertés qui lui sont associées et son champ d’exercice demeurent cependant relativement incertains. De nombreux problèmes concrets surgissent donc lorsqu’il s’agit d’exercer cette liberté au sein des diverses institutions et communautés comme dans les rapports de celles-ci avec l’Etat et la société civile. Les convictions religieuses ont en effet la prétention de relier les principaux aspects de l’existence et d’aspirer à l’unité. Il existe donc nécessairement des seuils entre le for interne et le for externe dans différents domaines comme celui des cultes, celui des hôpitaux, celui de l’entreprise ou encore celui des partis politiques.
I. La liberté de conscience dans l¹histoire.
Le premier de tous, Tertulien (160 à 245 de notre ère) a considéré que l’Etat ne devait pas contraindre les consciences et a prôné la tolérance entre religions différentes dans une même cité. Il a également forgé le concept de liberté religieuse. Dans les temps modernes, Martin Luther est le premier à invoquer solennellement la liberté de conscience devant l’Empereur Charles Quint, les souverains et les villes libres d’Allemagne, le 20 avril 1521, à la Diète de Worms. « Je suis lié par les textes scripturaires que j’ai cités et ma
conscience est captive des paroles de Dieu ; je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr ni honnête d’agir contre sa propre conscience ». La Réforme à ses débuts va s’appuyer sur une affirmation décidée de la liberté de conscience du chrétien individuel. Mais assez vite elle va lui fixer des limites, voire la refuser dans certains cas. Ainsi pour Jean Calvin, la liberté de conscience s’analyse essentiellement en une stricte obéissance à la parole divine. Devenu le maître de Genève, il se considérera comme le seul interprète qualifié de cette parole et fera condamner par l’autorité civile tous les dissidents. Le 27 octobre 1553, l’exécution par le feu de Michel Servet marque le point de rupture avec les origines de la Réforme, le refus de la liberté de conscience et le retour à l’intolérance. Son disciple et futur successeur, Théodore de Bèze, aura même cette phrase terrible : « La liberté de conscience est une doctrine diabolique ». Sébastien Castellion (1515-1563), professeur à l’université de Bâle, sera le seul à s’élever publiquement contre cette exécution, dans trois ouvrages, dont l’un sera censuré sous la pression de Calvin et de la ville de Genève et publié 50 ans après sa mort, aux Pays-Bas. Le « Traité des hérétiques », publié sous un pseudonyme en 1554 est un plaidoyer pour la liberté de conscience et la tolérance. La brochure « Contre le libelle de Calvin », rédigée en 1555, est un réquisitoire contre Calvin, considéré comme l’instigateur du meurtre de Servet, pour ses seules convictions antitrinitaires. Enfin le livre « Conseil à la France désolée » publié en 1562, souligne que l’Etat ne peut forcer les consciences, impute aux catholiques comme aux protestants la responsabilité de la guerre civile, les invite à la tolérance et les exhorte à l’arrêt des persécutions et des luttes religieuses. Seul Philippe Melanchthon adresse une lettre de soutien à Castellion, l’assurant de son estime et lui témoignant son amitié.
En droit, l’expression « Liberté de conscience » apparaît pour la première fois dans les Édits royaux de pacification, à commencer par l’Edit d’Amboise en 1563. La liberté de conscience, purement individuelle et limitée au for intérieur, était reconnue en faveur des protestants, mais distinguée de la liberté de culte, toujours négociée, limitée ou interdite. Ce fut l'Edit de Nantes du 13 avril 1598 qui donna pour la première fois un statut juridique stable et complet aux réformés et à leur Eglise. La liberté de conscience était toujours reconnue aux protestants (article VI). Ceux-ci devaient pouvoir accéder à toutes les fonctions, y compris les fonctions publiques (article XXVII). Des chambres « mi-parties » étaient instaurées dans plusieurs parlements (principalement à Bordeaux et Toulouse) pour juger les affaires entre protestants ou qui opposent des protestants à des catholiques (articles XXX à LXVII). La liberté de culte n’était quant à elle accordée que de façon limitée, refusée notamment dans certaines grandes villes comme Paris, Toulouse, Reims ou Dijon (anciennes villes ligueuses). Avec la politique de Louis XIV d'application de l'Edit « à la rigueur », puis le retour de persécutions ouvertes à partir de 1680, liberté de conscience et liberté de culte furent progressivement anéanties. Ainsi l’article XLV de la déclaration du Roi du 2 avril 1666, impose le baptême catholique aux enfants de père catholique ou ancien catholique, même si la mère est protestante et prescrit qu’ils seront élevés dans cette religion par leurs plus proches parents catholiques. Première atteinte à la liberté de conscience. D’autres suivront, dont la déclaration du 18 juin 1681 qui autorise les enfants de la RPR (Religion Prétendue Réformée) à se convertir au catholicisme dès l’âge de 7 ans, sans que leurs parents puissent s’y opposer. La déclaration du 19 novembre 1680 impose de son côté aux juges royaux de se rendre au chevet des malades de la RPR, pour s’assurer qu¹ils ne souhaitent pas abjurer.
Après la Révocation de l’Edit de Nantes par l'Edit de Fontainebleau du 18 octobre 1685, s’ouvrait une nouvelle ère de persécutions. Pourtant l’article XII de cet Édit préservait en théorie la liberté de conscience de ceux de la RPR, sous réserve qu’ils s’abstiennent de tout exercice public. Mais divers textes postérieurs le vidèrent de son sens, notamment la Déclaration du 13 septembre 1698 qui enjoignait à tous les nouveaux convertis de se marier à l’Eglise en observant les Saints Canons, à faire baptiser leurs enfants à l’Eglise dans les 24 h de leur naissance, à les conduire régulièrement à la Messe et à leur faire donner une instruction religieuse catholique jusqu’à l’âge de 14 ans et enfin de leur désigner des tuteurs catholiques.
Seule la France connut un régime de tolérance et de relative liberté religieuse, avec l’application de l’Edit de Nantes de 1598 à 1685. Mais à l’exception de cette parenthèse de presque un siècle, partout en Europe fut restaurée l’unité de la religion et de l’Etat, tant dans les pays catholiques que dans les pays protestants, selon le principe établi par la
paix d’Augsbourg de 1555 : cujus regio, ejus religio. La population d’un pays devait suivre la religion de son prince et les récalcitrants avaient pour seule issue d’émigrer dans un État dont le souverain était de leur confession. Ce jus emigrandi, qui avait été refusé aux protestants par Louis XIV lors de la révocation de l’Edit de Nantes, était la seule concession faite à la liberté de conscience. Il en fut ainsi en Alsace, terre d’Empire
avant de devenir française.
Au XVIIème siècle l’anglais John Locke, dans sa célèbre « Lettre sur la tolérance » de 1686 et le français Pierre Bayle, dans son « Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ : contrains-les d’entrer », de la même année, prônent à nouveau la liberté de conscience, la tolérance et la liberté religieuse et contestent à l’Etat le droit de régenter les consciences. Pierre Bayle (1647-1706) en particulier a vu dans la liberté de conscience le fondement de la tolérance et s’est élevé contre l’interprétation Augustinienne de Luc, 14, 23 et l’attitude intolérante de Calvin. Il soutient les droits imprescriptibles de la conscience, qui peut certes errer, mais dont la conviction ultime doit être respectée. Ce qui est en jeu pour lui, c’est la liberté inconditionnelle par laquelle chacun peut choisir sa religion et reconnaître à autrui, au nom des prérogatives de la conscience, les mêmes droits. Il critique l¹inconséquence des protestants « qui ne donnent point liberté de conscience aux autres sectes ». Par contre il ne récuse en rien le droit de chaque religion à imposer à ses membres des conditions internes d¹orthodoxie.
Mais c’est au XVIIIème siècle, avec les philosophes des Lumières, que ces idées se développèrent, puis triomphèrent dans toute l’Europe. Dans son « Traité de la tolérance » Voltaire écrivait : « Il ne faut pas un grand art, une éloquence bien recherchée, pour prouver que des chrétiens doivent se tolérer les uns les autres. Je vais plus loin: je vous dis qu'il faut regarder tous les hommes comme nos frères. Quoi! Mon frère le Turc? mon frère le Chinois? le Juif? le Siamois? Oui, sans doute; ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et créatures du même Dieu? »
Louis XVI, par l’Edit de Tolérance de novembre 1787, fit un premier geste en ce sens, en reconnaissant qu’il existait des « non-catholiques » dans le royaume et en leur accordant des droits civils, notamment un état-civil laïc . C’était leur reconnaître la liberté de conscience ! Mais l’article 1er de cet Édit réaffirmait que « La religion catholique (...) continuera de jouir seule dans notre royaume du culte public ». C’est finalement la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adoptée par l’assemblée constituante en 1789, qui fonde en France la liberté de conscience et de culte.
II. La liberté de conscience en droit positif.
Cette déclaration, incorporée désormais à la constitution du 4 octobre 1958, pose en son article 10 le principe suivant : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». La liberté de conscience est donc considérée comme un aspect de la liberté d’opinion et c’est encore aujourd¹hui la conception du droit français. L’article 1er de cette même constitution déclare que la République « assure l’égalité devant la loi des citoyens sans distinction d’origine, de race et de religion » et qu’elle « respecte toutes les croyances ».
La liberté de conscience apparaît pour la première fois dans un instrument international avec la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Elle y est associée, sous forme de triade, avec la liberté de pensée et la liberté de religion. Mais pour étudier la question de la liberté de conscience en France, il faut se référer au Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. En effet ces deux traités, ratifiés par la France, sont dans la hiérarchie des normes, supérieurs à la loi nationale et se placent juste au-dessous de la constitution.
L’article 18-1 du Pacte de 1966 est particulièrement développé et énonce:
« I. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et par l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.
II. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix.
III. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre, de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.
IV. Les États parties au présent pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant des tuteurs légaux, de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions ».
L’article 9 de la convention européenne consacré à ce thème comprend deux paragraphes:
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public et en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Les normes européennes et internationales, telles qu’elles résultent des textes ci-dessus, assimilent elles aussi liberté de pensée, de conscience et de religion. Mais elles font de la liberté de conscience l’élément clé de la liberté religieuse qu’elles proclament. Elles en donnent en effet une définition assez large. En droit français, la liberté religieuse englobe la liberté de conscience et la liberté de culte. Elle est donc conforme pour l’essentiel à ces textes supranationaux.
Le Conseil constitutionnel en a fait un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant donc valeur constitutionnelle (Cons. const. 23 nov. 1977). La liberté de conscience implique la neutralité de l’Etat et de ses agents, et donc la laïcisation de toute une série de services publics et institutions sociales autrefois confiés à l’Eglise, comme l’état civil (1791), le mariage civil (1791), l’assistance publique (1879), les cimetières (1881), l’enseignement public (1882), les pompes funèbres (1904).
Mais la liberté de conscience, comme la plupart des libertés, se heurte à des limites. Si dans le for interne elle est absolue, dans le for externe elle ne doit pas contrevenir l’ordre public au sens large et à la liberté religieuse d¹autrui, comme cela est d’ailleurs rappelé au second paragraphe de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La loi du 9 décembre 1905, instaurant la séparation des Églises et de l’Etat, en particulier son article 1er, qui fixe ses objectifs, est écrit dans le marbre : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. » La finalité de cette loi est donc la reconnaissance de deux libertés essentielles, celle de conscience et celle de culte. La séparation des Églises et de l’Etat qu’elle instaure par ailleurs n’est en réalité qu’un moyen, parmi beaucoup d’autres possibles, de garantir ces deux libertés.
Lorsque le Conseil constitutionnel élève les grands principes de la loi de 1905 à la dignité de « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » et les rattache de ce fait, sous les vocables de « bloc de constitutionnalité », à la constitution en vigueur, c'est sans doute cet article 1er qui est concerné et lui seul (Cons. const. 1983).
La loi du 9 décembre 1905 a prévu des dispositions pénales destinées à protéger la liberté de conscience. L’article 31 punit ainsi d’une amende de 1500 euros et d’un emprisonnement d’un mois, le fait d¹exercer des pressions de tous ordres, directes ou indirectes, sur une personne, pour l’inciter à participer ou non à un culte, à adhérer ou non à une association cultuelle ou à financer ou non une activité religieuse. Le texte vise expressément les voies de fait, les violences et les menaces visant la personne elle-même, son emploi, sa fortune ou sa famille. Ces pressions diverses doivent avoir pour effet d¹entraver les manifestations extérieures de la liberté de conscience, les seules qui
peuvent être utilement appréhendées par le droit. Ce texte peut aussi s’appliquer aux changements de religion, soit pour protéger le converti contre les agissements de ses anciens coreligionnaires cherchant à le ramener à eux, soit pour protéger le fidèle d’une religion contre certaines formes de prosélytisme employées par un mouvement religieux concurrent. Anciennement simple contravention, cette infraction est devenue un délit
depuis 1992 et l’adoption du nouveau Code pénal.
En 1963 le législateur français a créé un statut pour les objecteurs de conscience qui ne souhaitaient pas effectuer un service militaire en raison de leurs convictions religieuses. Ils étaient astreints à un service civil d’une durée double de celle du service militaire. Ce dernier ayant été suspendu en 1995, ce statut l’est également.
La liberté de conscience est également protégée par la loi du 1er juillet 1972 ayant introduit les discriminations dans le champ de la répression pénale. Les juges sont appelés à se pencher sur des cas de discrimination religieuse réelle ou supposée (articles 225-1 et 225-2 du code pénal). Ainsi, en matière d'embauche, la nature religieuse de l'emploi offert peut justifier une sélection confessionnelle du cocontractant. A l'inverse, pour un emploi banal, une condition religieuse ne peut assortir l'offre d'embauche. Enfin un licenciement peut être justifié lorsque l'employé salarié utilise ses fonctions pour faire du prosélytisme religieux.
La loi Veil, modifiée en dernier lieu par la loi du 4 juillet 2001, a prévu une clause de conscience, autorisant le personnel médical, y compris dans les hôpitaux publics, à refuser de pratiquer des I.V.G. Mais le médecin chef de service, ne peut interdire de tels actes dans son service, ni s’opposer à ce que d’autres médecins en réalisent.
Enfin la loi du 15 mars 2004 limite l’expression des convictions religieuses dans les établissements scolaires publics en ces termes : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».
III. La liberté de conscience dans la jurisprudence.
C’est la jurisprudence qui concrètement a défini au cas par cas le contenu de la liberté de conscience et fixé ses limites. Elle émane principalement de la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant à Strasbourg, ainsi que de la Cour de justice des communautés européennes siégeant à Luxembourg, du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation siégeant à Paris.
A. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu plusieurs décisions en matière de respect de la liberté de conscience, qui fixent quelques points de repère.
L’Arrêt Campbell et Cosans c/ R.U. du 25 février 1982, distingue les fortes convictions, protégées par la liberté de conscience, des simples opinions ou idées qui relèvent de la liberté d’expression. « (...) Considéré isolément et dans son acception ordinaire, le mot
« convictions » n'est pas synonyme des termes « opinion » et « idées » tels que les emploie l'article 10 de la Convention qui garantit la liberté d'expression; on le retrouve dans la version française de l'article 9 (en anglais « beliefs »), qui consacre la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il s'applique à des vues atteignant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et d'importance (...) » (§ 36).
L’Arrêt Kokkinakis c/ Grèce du 25 mai 1993, est très important et souligne l’importance et l’étendue de la liberté de conscience, avec ses manifestations privées et publiques et notamment le droit de faire partager ses convictions aux autres. « Telle que la protège l'article 9, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l'une des assises d'une « société démocratique » au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme - chèrement conquis au cours des siècles - consubstantiel à pareille société. Si la liberté religieuse relève d'abord du for intérieur, elle « implique » de surcroît, notamment, celle de « manifester sa religion ». Le témoignage, en paroles et en actes, se trouve lié à l'existence de convictions religieuses. Aux termes de l'article 9, la liberté de manifester sa religion ne s'exerce pas uniquement de manière collective, « en public » et dans le cercle de ceux dont on partage la foi : on peut aussi s'en prévaloir « individuellement » et « en privé » ; en outre, elle comporte en principe le droit d'essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d'un « enseignement », sans quoi du reste « la liberté de changer de religion ou de conviction », consacrée par l'article 9, risquerait de demeurer lettre morte. » (§ 31). Ce même arrêt oppose évangélisation, qui est permise, à prosélytisme qui est prohibé. « Il s’agit d'abord de distinguer le témoignage chrétien du prosélytisme abusif: le premier correspond à la vraie évangélisation qu'un rapport élaboré en 1956, dans le cadre du Conseil œcuménique des Églises, qualifie de « mission essentielle » et de « responsabilité de chaque chrétien et de chaque église ». Le second en représente la corruption ou la déformation. Il peut revêtir la forme d'activités [offrant] des avantages matériels ou sociaux en vue d'obtenir des rattachements à [une] Eglise ou [exerçant] une pression abusive sur des personnes en situation de détresse ou de besoin », selon le même rapport, voire impliquer le recours à la violence ou au « lavage de cerveau »; plus généralement, il ne s'accorde pas avec le respect dû à la liberté de pensée, de conscience et de religion d'autrui. » (§ 48).
Un Arrêt Larissis et autres c/ Grèce du 24 février 1998 a encore précisé ces notions. Trois officiers grecs pentecôtistes avaient été condamnés dans leur pays pour prosélytisme. La Cour de Strasbourg distingue ici le cas d’un de ces officiers qui avait fait du prosélytisme à l’égard de simples soldats et abusé ainsi de son autorité, au risque de nuire à la liberté de conscience d’autrui et considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 dans son cas. Mais elle adopte la position inverse pour les deux autres officiers dont le prosélytisme s’exerçait à l’égard de civils.
L’Arrêt Larissis et a. c/ Grèce du 24 février 1998 marque également les limites de ce droit à faire partager ses croyances. « (...) L'article 9 ne protège toutefois pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une croyance. Ainsi, il ne protège pas le prosélytisme de mauvais aloi, tel qu'une activité offrant des avantages matériels ou sociaux ou l'exercice d'une pression abusive en vue d'obtenir des adhésions à une Eglise. (...) » (§ 45)
L’Arrêt Buscarini et a. c/ St Marin du 18 février 1999, considère que la liberté de conscience est incompatible avec une législation imposant aux parlementaires de prêter serment sur les Évangiles. La Cour souligne que cette liberté « est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles - consubstantiel à pareille société » (...). Cette liberté implique, notamment, celle d'adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer. En l'espèce, l'obligation de prêter serment sur les Évangiles constitue bel et bien une restriction à la liberté de conscience, les députés ayant dû faire allégeance à une religion donnée sous peine de déchéance de leur mandat de parlementaires. Pareille ingérence enfreint l'article 9 sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire, dans une société démocratique ». (§ 34) La cour conclue en ces termes « (...) il serait contradictoire de soumettre l'exercice d'un mandat qui vise à représenter au sein du Parlement différentes visions de la société à la condition d'adhérer au préalable à une vision déterminée du monde. La restriction incriminée ne saurait dès lors passer pour « nécessaire dans une société démocratique. » (...) " (§ 39 et 40) La Cour admet par contre certaines restrictions à la liberté de conscience, dès lors qu’elles sont prévues par la loi.
Mais l’Arrêt Sunday Times c/ R.U. du 26 avril 1979, précise qu’on ne peut considérer comme une « loi » qu'une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite, en s'entourant au besoin de conseils éclairés.
L’Arrêt Kalaç c/ Turquie du 1er juillet 1997 admet des restrictions à la liberté de conscience dans le cadre du maintien de la discipline militaire. « En embrassant une carrière militaire, M. Kalaç se pliait, de son plein gré, au système de discipline militaire. Ce système implique, par nature, la possibilité d'apporter à certains droits et libertés des membres des forces armées des limitations ne pouvant être imposées aux civils (...). L'arrêté de mise à la retraite d’office « ne se fonde d'ailleurs pas sur les opinions et convictions religieuses du colonel Kalaç ou sur la manière dont il remplissait ses devoirs religieux, mais sur son comportement et ses agissements (...). Ceux-ci, selon les autorités turques, portaient atteinte à la discipline militaire et au principe de laïcité. La Cour en conclut que la mesure de mise à la retraite d'office ne s'analyse pas en une ingérence
dans le droit garanti par l'article 9 puisqu'elle n'est pas motivée par la façon dont le requérant a manifesté sa religion. » (§§ 30 et 31)
Dans l’affaire Martins Casimiro et Cerveira Pereira c/ Luxembourg, l’arrêt de la Cour du 27 avril 1999, au nom du droit à l’instruction, « estime que le refus prévu par la loi d'octroyer aux requérants une dispense générale de cours le samedi pour leur fils mineur se justifiait dans leur principe pour la protection des droits et libertés d'autrui, et en particulier du droit à l'instruction, et qu'elles ont respecté un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».
L’Arrêt Refah Partisi et a. c/ Turquie du 13 février 2003, approuve la dissolution d’un parti politique qui proposait des dispositions discriminatoires d’inspiration religieuse. « La Cour estime que le système multi-juridique, tel que proposé par le Refah, introduirait dans l'ensemble des rapports de droit une distinction entre les particuliers fondée sur la religion, les catégoriserait selon leur appartenance religieuse et leur reconnaîtrait des droits et libertés non pas en tant qu'individus, mais en fonction de leur appartenance à un mouvement religieux. Selon la Cour, un tel modèle de société ne saurait passer pour
compatible avec le système de la Convention, pour deux raisons : D'une part, il supprime le rôle de l'Etat en tant que garant des droits et libertés individuels et organisateur impartial de l'exercice des diverses convictions et religions dans une société démocratique, (...). D'autre part, un tel système enfreindrait indéniablement le principe de non-discrimination des individus dans leur jouissance des libertés publiques, qui constitue l'un des principes fondamentaux de la démocratie. » (§ 119).
Enfin l’Arrêt Leyla Sahin c/ Turquie du 29 juin 2004, approuve l’interdiction du port du voile islamique à l’université. Une étudiante en médecine à l'université d'Istanbul, s'est vu refuser l'accès aux cours et aux épreuves en raison du port du foulard islamique. Elle a invoqué l'article 9 CEDH pour atteinte injustifiée à son droit de manifester sa religion. « La Cour constate que l'interdiction faite aux étudiante de porter le foulard islamique constitue une ingérence dans l'exercice du droit de manifester sa religion qui est prévue en droit turc, et qui poursuit les buts légitimes que sont la protection des droits et libertés d'autrui et la protection de l'ordre, « compte tenu de l'importance de la sauvegarde du principe de laïcité et de la neutralité des universités en Turquie » (§ 83). (...) « la protection de la laïcité et du pluralisme dans un établissement universitaire relèvent d'un « besoin social impérieux », et l'ingérence litigieuse apparaît proportionnée aux buts légitimes poursuivis. Il n'y a donc pas violation de l'article 9 CEDH. »
Le 15 février 2001 un arrêt Lucia Dahlab contre Suisse a également rejeté la requête d’une enseignante suisse qui s’était vue interdire le port du voile par la direction générale de l’enseignement. La cour estime que cette interdiction reposait sur une mesure légale dont l¹objectif était de protéger les droits et libertés d’autrui.
B) De son côté la C.J.C.E., par un Arrêt Vivien Prais c/ Conseil des Communautés européennes du 27 octobre 1976, a rejeté la demande de la requérante tendant à passer un concours des Communautés européennes à une autre date que celle prévue, en raison de ses convictions religieuses. La cour indique que « lorsque le concours est sur épreuves, le principe d'égalité veut que les épreuves aient lieu dans les mêmes conditions pour tous les candidats (...) que s' il est souhaitable que l'autorité investie du pouvoir de nomination s'informe, de façon générale, des dates qui pourraient ne pas convenir pour des motifs d'ordre religieux , et tâche d'éviter de fixer les épreuves à de telles dates, on ne saurait, pour les raisons indiquées ci-dessus, considérer que le statut des fonctionnaires ou les droits fondamentaux déjà mentionnés font obligation à l'autorité investie du pouvoir de nomination d'éviter de méconnaître une obligation religieuse de l'existence de laquelle elle n'a pas été informée ».
C) Le Conseil d’Etat et dans une moindre mesure les autres juridictions administratives ont été amenés eux aussi à préciser la portée et les limites de la liberté de conscience, dans le domaine de l’expression des convictions religieuses.
1° Ils rappellent que le principe de neutralité du service public interdit aux fonctionnaires de manifester leurs croyances religieuses sur le lieu du travail ou dans l’exercice de leurs fonctions :
- pour une employée de la poste qui portait un foulard sur ses cheveux (CAA Lyon, 27 novembre 2003),
- pour une assistante sociale scolaire d’une école publique qui manifestait ostensiblement ses convictions religieuses dans l’établissement (C.E. Avis du 3 mai 2000),
- pour les enseignants de l’école publique, dans leur établissement ; par contre ils sont libres d’exprimer leurs convictions religieuses à l’extérieur, à condition de respecter leur obligation de réserve (C.E. 21 avril 1938, 8 décembre 1948 et 3 mai 1950). Mais cette interdiction ne s’applique pas à un simple usager du service public du moment qu’il ne trouble pas l’ordre public ; ainsi pour une cliente de la poste qui portait le voile islamique (C.E. Avis du 3 mai 2000).
2° Le Conseil d’Etat rappelle également que la laïcité au sein de l’école publique garantit la liberté de conscience des élèves, que ceux-ci ont un droit à l’instruction et que corrélativement une obligation d’assiduité pèse sur eux, ce qui conduit à des restrictions de la liberté de conscience:
- Pour un élève exclut après avoir porté un signe ostensible d’appartenance religieuse et refusé de l’ôter,
- pour le refus d’une demande de dérogation systématique de participation aux cours un jour par semaine (C.E. Ass. 14 avril 1995), Mais une dérogation exceptionnelle est possible si elle n’est pas incompatible avec le bon fonctionnement de la scolarité (même arrêt).
3° Il souligne d’autre part que la liberté de conscience peut faire l’objet de restrictions dans l’intérêt de l’ordre public, ainsi pour les photos sur les cartes d’identité et passeports qui doivent être réalisées « de face, tête nue, récentes et parfaitement ressemblantes » :
- pour une religieuse catholique qui voulait garder sa cornette (C.E. juillet 2001),
- pour une musulmane qui souhaitait garder son voile (C.E. Octobre 2003)
4° Enfin le Conseil d’Etat veille à ce qu¹il ne soit pas fait obstacle à l’exercice de cette liberté sans motifs sérieux et légitimes :
- ainsi un chef d¹établissement pénitentiaire ne peut refuser une autorisation d’absence à un surveillant qui désire participer à une fête religieuse, dès lors que cette absence est compatible avec le fonctionnement du service (C.E. 12 février 1997),
- et il ne peut davantage interdire des cérémonies religieuses pour des détenus, dès lors que cet exercice ne porte pas atteinte aux impératifs de sécurité (C.E. Ass. 6 juin 1947.
5° Dans le domaine de la santé, le Conseil d’Etat indique que l’obligation faite au médecin de respecter la volonté du malade trouve sa limite dans l’obligation de protéger la santé de ses patients :
- ainsi une transfusion sanguine peut être pratiquée sur un témoin de Jéhovah qui la refusait pour motifs de conscience, dans une situation d’urgence et alors qu’il n’y avait pas d’autre moyen de le sauver (C.E. 26 octobre 2001).
D) La Cour de cassation et les juridictions civiles sont aussi amenées, dans le cadre du droit privé, à régler des questions qui touchent à la liberté de conscience :
1° Dans le cadre de l’entreprise, la liberté de conscience interdit toute discrimination en raison des convictions et pratiques religieuses :
- ainsi un patron ne peut licencier un salarié après avoir découvert qu’il était prêtre (Cass. Soc. 17 octobre 1973),
- mais une salariée ne peut refuser un examen par un médecin de sexe masculin, pour motif religieux, les dispositions législatives relatives à la médecine préventive du travail ayant un caractère impératif (Cass. Soc. 29 mai 1986),
- par contre dans les entreprises de tendances qui, selon Georges Dole « se donnent pour objet de promouvoir une vision de l’homme et du monde », les convictions du salarié doivent être en harmonie avec les objectifs de l’entreprise. A ainsi été justifié le licenciement de Mlle Fischer, maître-assistant d’histoire des religions à la faculté libre de théologie protestante de Montpellier, qui avait été engagée par l’ERF pour effectuer une tache impliquant une communion de pensée et de foi avec son employeur (Cass. Soc. 20 novembre 1986, Bull. n° 555).
2° Parfois aussi le juge civil laïc est obligé d'intervenir directement dans le domaine de la conscience, faute de quoi il commettrait un déni de justice. Il en est ainsi dans les litiges portant sur l'éducation religieuse des enfants, le prosélytisme auprès d'adultes ou les conversions. Comment rester neutre dans de telles hypothèses ? Dans ces cas la question qui se pose est celle de savoir si l'immixtion dans le domaine de la conscience a été raisonnable et impartiale.
- Ainsi en matière d'éducation religieuse la cour d'appel de Toulouse, dans un arrêt du 29 novembre 1994, a indiqué que « ne constitue pas en elle-même un obstacle à l'exercice de l'autorité parentale » l'adhésion de l'un des parents à une secte ou à un mouvement religieux. Elle en conclut, qu'en l'absence de danger pour l'enfant, il n'y a pas lieu de retirer la garde à celui des parents qui est devenu témoin de Jéhovah. En général, dans de tels litiges, les juges français prennent en considération les implications concrètes de la religion en cause, eu égard aux deux notions fondamentales « d'intérêt de l'enfant » et de « danger pour l'enfant ».
Conclusion.
Consubstantielle au protestantisme, la liberté de conscience a longtemps été refusée et combattue par l’Eglise catholique romaine. Le pape Grégoire XVI dans son encyclique « Mirari Vos » en 1832, écrivait encore : « De cette source empoisonnée de l'indifférentisme, découle cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire : qu'on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience ». La situation a heureusement changé avec le concile Vatican II et la Déclaration « Dignitatis Haumanae ». La liberté de conscience a été constamment rappelée depuis lors par le pape Jean-Paul II. Mais l’accent est toujours mis sur la protection de la liberté de l’Eglise catholique et notamment de la vérité. L’existence en droit canonique des crimes de schisme, d’hérésie et d’apostasie démontre que la liberté de conscience doit toujours céder devant l’exigence de vérité. Si dans les sociétés évoluées d¹occident la liberté de conscience est aujourd’hui unanimement proclamée et généralement bien protégée, il n’en est pas de même dans le monde entier. En particulier, en terres d’Islam, l’apostasie est un crime impardonnable et même parfois encore puni de mort. Par ailleurs les non-musulmans y souffrent de diverses discriminations, comme l’interdiction de remplir certaines fonctions. Mais des voix musulmanes s’élèvent pourtant contre l’intolérance et la discrimination. Elles sont peu écoutées et mal relayées. En France, nous l’avons vu, la liberté de conscience est une liberté fondamentale, absolue dans le for interne, limitée par les seules exigences de l’ordre public et des libertés d’autrui dans le for externe. A la suite de la Cour européenne des droits de l’homme, les juridictions administratives et judiciaires veillent au cas par cas à son respect.
Mais qu’en est-il de la liberté de conscience au sein même des groupes religieux ? Comment les fidèles, les ministres et les responsables de ces groupes peuvent-ils user d’une telle liberté ? Celle-ci peut-elle d’ailleurs coexister et s’articuler avec l’exigence de vérité qui est de l’essence d’une religion ? Au sein de l’institution que constitue un culte, quelle marge peut être laissée à l’interprétation (des textes sacrés, de la doctrine...) et donc quelles limites sont-elles imposées à la liberté de conscience ? Il y a un point d’équilibre à trouver entre liberté de conscience et foi ou tradition. Le curseur peut ainsi glisser de l’animisme (correspondant au libéralisme le plus complet) au réductionnisme (correspondant au fondamentalisme ou à l¹intégrisme). Mais qui a le pouvoir de fixer ce point d’équilibre ? Et ce pouvoir est-il contrôlé ?
Je n’ai pas traité ces questions car le droit français, au nom de la liberté de culte, laisse à ces derniers le soin de régler eux-mêmes ces problèmes. En cas de litige, les juridictions éventuellement saisies se borneront à veiller au respect des procédures prévues par le droit interne du culte concerné, ainsi que des droits de la défense, mais s’interdiront toujours d’apprécier au fond la décision des autorités religieuses, en particulier sur une question doctrinale. C’est la raison pour laquelle il n’existe pas de jurisprudence en ce
domaine, à laquelle il soit possible de se référer. Cependant, « l’ancienne » commission des droits de l’homme avait déjà confirmé le droit des autorités religieuses de sauvegarder une uniformité doctrinale et de faire respecter une discipline et des règles propres, précisant que la liberté religieuse (ici la liberté de conscience), à l’intérieur des communautés, était circonscrite à la libre adhésion et au libre départ, tant des membres que des ministres. Il s’agit là, pour la commission, d’aspects de l’autonomie organisationnelle des cultes, garantie de la liberté religieuse (Finska Fosamling I Stockholm et Hautaniemi c/ Suède, 1994 ; Spetz et autres c/ Suède, 1994). Les cultes peuvent donc librement, par leur droit interne (droit ecclésial ou droit canonique), déterminer le degré de pluralisme interne qu’ils estiment légitime en leur sein ou même proscrire tout pluralisme. Fidèles et ministres qui ne seraient pas d’accord en conscience avec les lignes prescrites, ont toujours la liberté de quitter le groupe et de se joindre à un autre culte, plus conforme à leurs convictions.
Nous retrouvons ici, concrètement, l’illustration de la pensée de Pierre Bayle.