Daniel Gaubiac : J’ai des expériences dans des Eglises qui ne sont pas de l’Eglise Réformée… J’ai été trésorier de l’Eglise Libre de Paris Alésia pendant dix ans. Je connais bien aussi les Eglises Evangéliques Réformées Indépendantes, dont je suis originaire. La problématique y est la même, même si l’usage et la circulation de l’argent dans ces Eglises n’y sont pas exactement les mêmes que dans l’Eglise Réformée. Il y a dans les Eglises Libres une différence avec l’Eglise Réformée ; c’est que le pasteur est directement embauché par l’église locale et il est directement payé par l’église locale. C’est le trésorier local qui fait le bulletin de paye et c’est lui qui, tous les mois, sort de l’argent du compte pour le donner au pasteur. Cela est une motivation, effectivement, puisque là, dans l’Eglise Libre, si l’on veut que le pasteur soit payé, il suffit que le trésorier dise : « Ecoutez, il faut faire un petit effort, parce qu’autrement on ne pourra pas payer le pasteur ». Et tout de suite il y a de l’argent pour payer le pasteur. C’est la différence. Cela peut avoir de gros désavantages, c’est que l’on ne parle pas avec une notion de solidarité où les églises riches peuvent aider les églises pauvres. A la limite, le Conseil presbytéral étant souverain, il décide en toute quiétude et de façon tout à fait autonome de l’usage de l’argent qu’il reçoit. Et s’il lui tient à cœur de réserver une part pour aider des églises qui sont en difficulté, il le peut. Mais s’il dit : « Je veux mettre de l’argent de côté parce que j’ai de grands projets en vue dans trois ou quatre ans… » on ne peut pas l’obliger. Dans l’Eglise Réformée il y a quand même ce souci permanent, à chaque instant et à chaque niveau, de la solidarité. Les églises plus riches viennent aider les églises plus pauvres.
Etienne Pfender : Je ne suis pas théologien et non plus économiste. Mais je voudrais quand même réagir à ce que j’ai entendu là. Il s’agit de l’approche spirituelle de l’argent, comme « l’incarnation de l’argent ». Cela fait de grands mots que l’on met sur un tout petit truc. On a peur de dire que c’est un petit truc, parce que c’est un très gros souci. On a quand même évoqué tout à l’heure la question de l’argent. Qu’est-ce que c’est ? C’est un outil, mais je trouve que l’on n’est pas allé assez loin sur cette piste-là. Un outil, c’est un outil. Un outil, c’est comme un marteau. Un marteau est fait pour enfoncer des clous. Ce n’est pas fait pour tuer la belle-mère en lui enfonçant ça sur le crâne ! Les outils, ça existe depuis toujours. Cela veut dire – comme dit l’Ecclésiaste – qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Les outils ont toujours existé. La spéculation, depuis que l’argent existe, a toujours existé. Il avait raison ! Rien de nouveau… Mais là où il se trompe, c’est que les moyens techniques ont considérablement évolué, surtout depuis l’ère industrielle, et maintenant ça se fait à l’échelle mondiale. Quand nous en avons un qui boursicote ici, effectivement… Cela nous permet de parler un peu du boursicotage comme ça. Je ne boursicote pas moi-même, mais je me suis un peu renseigné. Vous savez peut-être ce que sont les LPO ? Ce sont des boursicotages par effets leviers. Vous avez de l’argent et vous achetez une entreprise à crédit. Vous empruntez à la banque de quoi vous permettre de racheter une entreprise, parce que cette entreprise fait des bénéfices supérieurs aux intérêts que vous allez payer. Naturellement, puisque vous n’êtes pas un industriel et que vous n’avez aucun intérêt dans le produit de cette entreprise, vous remboursez la banque avec les bénéfices de l’entreprise. Comme ils sont supérieurs au crédit, vous vous faites une petite marge. Et après avoir remboursé, vous vendez votre entreprise à quelqu’un d’autre qui fait la même chose, parce que les taux auront baissé à ce moment là, et vous continuez à faire ça de multiples fois. Donc vous enlevez complètement la substance de l’entreprise. Cela se passe à l’échelle mondiale. Ce système est apparu depuis plusieurs années. C’est un système très performant qui enrichit plein de gens. Mais, encore une fois, l’argent n’est qu’un outil. Alors, quand on paye un loyer à un propriétaire, c’est le propriétaire qui s’enrichit. Quand on achète sa maison, c’est la banque qui s’enrichit. Le principe est le même. Est-ce qu’il y a moralité ou non ? C’est autre chose. Toute la question, je crois, est de savoir quel regard on porte là-dessus ? Pour ce qui est de la liberté par rapport à l’argent, je pense que devient libre celui qui a perdu la conscience des limites qu’il respecte. On est tous avec des limites partout. On est tous limités par plein de choses et on a des obligations. On doit payer ceci et on doit payer cela. On est obligé de les respecter, sinon on se met hors de la loi. Mais quand on essaie de ne plus y faire attention – sachant que vous avez des trésoriers quand même qui vous disent : « Attention, ça ne va pas ! » Vous êtes limités de toute façon. Mais il faut peut-être essayer de voir la question matérielle sous un autre jour en prenant du recul pour avoir un autre regard que celui qui se fait empêtrer, qui a les pieds dans la boue… Le trésorier est celui qui a la main dans le cambouis, il se salit et ce n’est pas très drôle. Le cambouis, c’est de la graisse que l’on met par exemple sur la chaîne d’un vélo… Il ne faut pas s’arrêter au cambouis. Le vélo a beaucoup plus d’utilité et c’est grâce au vélo que l’on avance. Il ne faut surtout pas s’arrêter d’ailleurs…
Jean-Charles Tenreiro : Est-ce que la veuve n’est pas une figure de l’Eglise pauvre ? Jésus la mentionne effectivement. Il dit : « Regardez ce qu’elle fait… » Mais il ne loue pas son geste. Juste avant, il y a un point à l’égard des juges et les prêtres qui spolient les veuves. Les prêtres organisent le temple et c’est une sacrée organisation au temps de Jésus… Et juste après l’épisode de la veuve, il dit à quelqu’un qui s’extasie devant le temple et sa construction qu’il va être détruit. Ce que je comprends, c’est que le geste de la veuve ne sert à rien. Je ne connais personne qui, dans l’Eglise, soit mort de faim parce qu’il avait tout donné à l’Eglise. C’est ce qu’elle fait cette veuve. Je n’utilise pas ce texte-là dans mes pédagogies financières. Mais si l’on peut le tordre et s’il y a des gens qui y sont sensibles, eh bien, tant mieux ! On utilise bien les 66 % de réduction pour les foyers imposables et les 75 % si l’on donne à une fondation ou à une œuvre reconnue d’utilité publique…
Etienne Pfender : On se rejoint bien, parce que tu dis que ça ne sert à rien. La veuve a tout donné pour rien…
Jean-Charles Tenreiro : A plusieurs occasions dans la journée est revenue la question du moi par rapport à l’autre. La veuve donne le tout de sa vie, mais ce ne sont que quelques piécettes de cuivre. C’est ridicule. J’ai beaucoup d’estime pour cette vieille dame. Cela nous a été porté dans l’Evangile. Mais on est plutôt sur le rapport au temple et à la foi.
Christian Barberry : Vous êtes sans doute au courant du Conseil œcuménique des Eglises. Le secrétaire général fait l’objet de critiques des Eglises allemandes semble-t-il, qui en ont assez de payer, en particulier pour des programmes sociaux et humanitaires en faveur de pays plutôt sous-développés du Tiers-Monde. Est-ce que, dans l’Eglise Réformée de France, où on a comme principe la solidarité justement, entre paroisses riches et moins riches… est-ce qu’un jour, ce principe ne va pas craquer ? J’entends dire – peut-être seulement de la part des paroisses riches ou certaines paroisses – que l’on en a quand même un peu assez de payer pour des paroisses qui finalement n’arrivent jamais à atteindre leur cible. On entend de plus en plus ce discours. Alors, je me pose la question : Vous, comment le ressentez-vous ? Et est-ce qu’un jour on ne va pas retourner à un congrégationalisme financier dans l’Eglise Réformée de France ? Quels sont les garde-fous qui nous empêcheraient justement d’arriver à une situation qui évidemment ne me semble pas la bonne ?
Daniel Gaubiac : Je n’ai pas de réponse comme ça, parce que c’est un sujet complexe et difficile. Et par ailleurs, il me semble que, quoi qu’il arrive, et dans la mesure du possible il faut préserver ce principe de solidarité, qui me paraît être une application concrète du penser à autrui, de l’être de l’autre. On est bien là dans la perspective de ce Paul recommandait aux Corinthiens lorsqu’il leur disait de penser aux autres et d’aider les Eglises les plus pauvres. Je crois que c’est quelque part être fidèle à la Parole que de respecter ce principe et d’essayer de le faire perdurer, de le faire vivre. Je sais très bien qu’il y a des Eglises qui participent à la solidarité et qui se plaignent en disant : « C’est finalement trop ce que nous donnons. On nous demande toujours de donner plus. Rien ne prouve que les Eglises qui bénéficient de la solidarité font des efforts pour, un jour ou l’autre, être en équilibre et ne plus avoir à bénéficier de cette solidarité. » Je ne suis pas sûr que ce ne soit pas le cas. Chaque Eglise a sa réalité, vit avec ses forces et faiblesses. On devrait, au contraire, se réjouir que l’on soit au bénéfice de la solidarité et se dire : « Alléluia ! Merci mon Dieu ! »
Jean-Charles Ternreiro : C’est vraiment une question pastorale et spirituelle. Là où je suis, je vois bien ce genre de réflexions. Cela voudrait dire que la paroisse où il n’y a pas de pasteur ne serait pas assurée d’avoir toujours un pasteur. Elle aurait beaucoup de mal à trouver un pasteur, parce qu’à terme cela veut dire que chaque paroisse se débrouille pour le pasteur. Je crois que les deux principes de solidarité et de subsidiarité sont les fondements mêmes de l’Union Nationale des Associations Cultuelles de l’Eglise Réformée de France. Un autre système est possible. Mais du coup, je pense, ça mettrait un sacré coup de canif dans l’Union et dans le lien national. Je me réjouirais que l’Eglise Réformée soit un essaimage d’Eglises congrégationalistes. On n’aurait plus besoin d’exister en tant que Conseil régional… Je veux dire que dans mon esprit le congrégationalisme n’est pas péjoratif. Ce qui est péjoratif, c’est quand ces Eglises deviennent égoïstes. Ce n’est pas la même chose. Il y a des tas d’Eglises très congrégationalistes aux Etats-Unis qui sont très solidaires les unes avec les autres. Et pas seulement aux Etats-Unis. Je crois qu’il faut bien peser les mots.
Joël Dutreuil : On n’a rien dit sur l’argent en tant qu’arme. On sait bien qu’aujourd’hui au niveau mondial l’argent est utilisé comme une arme. Une arme qui détruit. La destruction de pays et de populations et leur paupérisation et leur déracinement complet sont uniquement dus au fait que des gens qui utilisent l’argent comme arme. On n’en dit rien… On n’a pas de parole très forte pour dire que l’argent n’a pas le droit de faire de l’argent. C’est encore une piste de réflexion théologique sur l’argent comme arme. Est-ce que nous avons ici quelque chose à dire collectivement et en rajoutant un onzième commandement ou le trois-cent-soixante-septième, en disant : « Tu ne joueras pas avec de l’argent et tu ne tueras pas avec de l’argent. »
Etienne Pfender : Je poserais là alors une question bête et pratique : Est-ce que l’on est assuré que dans l’argent qu’a placé l’APF il n’ait aucun placement dans des entreprises d’armes ? Comment peut-on le savoir ? Comment peut-on le contrôler ?
Antoine de Védrines : Si toutefois on porte crédit à ce que l’on nous dit, car pour le vérifier vraiment, il faut se substituer au banquier. A chacun son métier. Moi, en tant que petit trésorier, je n’ai aucune façon de le savoir. Mais pourquoi ne pas poser cette question à mon correspondant de gestion à la banque ? Il m’a toujours répondu : « Oui ». Je ne peux pas le vérifier moi-même, mais a priori, la banque qui nous sert prétend ne pas être une banque qui pratique le placement d’argent pour des armes. C’est presque une utopie à mon avis, parce que l’argent rejoint les armes par tellement de chemins détournés que même eux-mêmes ne le savent peut-être pas.
Michel Fallas : J’ai quand même un petit malaise là quand on dit qu’il ne faut pas que l’argent engendre l’argent. Je pense que, quand quelqu’un place de l’argent sur son livret d’épargne, effectivement son argent engendre de l’argent. Quand on achète des actions, dans le cas favorable, l’argent engendre de l’argent – un peu plus que sur le Livret d’épargne - Dieu merci ! Mais pas toujours, évidemment, parce qu’il y a des risques. Je dirais que les bénéfices que l’on peut faire en bourse – qui sont supérieurs évidemment aux bénéfices du livret d’épargne ou des obligations – sont des bénéfices qui sont liés à un risque. Plus des risques sont pris, plus les marges potentielles possibles sont élevées. Avec parfois des effets de levier tout à fait redoutables, comme dans la récente affaire de la Société Générale. J’ai quand même l’impression que dans beaucoup d’Eglises et dans beaucoup de milieux chrétiens il y a une méfiance vis-à-vis des lieux financiers que je ne comprends pas trop. C’est peut être plus français qu’anglo-saxon, je ne sais pas… J’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup de paroisses en France qui ont des placements boursiers ou obligataires, etc. Je ne sais pas pourquoi. Je rappellerais quand même que la bourse a pour but de financer les entreprises, et non pas de faire faire des bénéfices à des particuliers. Son but premier est quand même de financer les entreprises. Si des particuliers gagnent de l’argent en bourse, tant mieux pour eux ! Mais je ne pense pas qu’il faille avoir ni une méfiance vis-à-vis de la bourse en général, ni non plus des jugements de valeur un petit peu rapides sur ce genre de systèmes. J’ai parfois entendu aussi des discours de gens qui disaient : « Ah, les actionnaires, ce sont eux qui gagnent de l’argent ! » J’ai envie de leur dire : « Mais les actionnaires c’est vous ! » « Pourquoi ? » « Parce que vous êtes assuré dans une Société d’assurance ? Eh bien, la Société d’assurance place ses liquidités en bourse. Vous êtes client dans une banque ? La banque place ses liquidités en bourse. » Si l’on peste constamment contre les actionnaires, en fait on est en train de se suicider.
Etienne Pfender : Si je peux juste répondre… La question de la bourse est de plus en plus complexe. La question de la bourse n’est pas du tout nouvelle. Vous connaissez certainement en Hollande du 16ème ou 17ème siècle l’histoire des oignons de tulipes ? Cette affaire a déjà fait une bulle spéculative déjà à cette époque là. Rappelez-vous des LPO ? Il y a plein d’outils comme ça. Lorsque l’on s’aperçoit qu’ils ne sont pas très moraux, par exemple les stock-options, on dit « Oh-là-là ! Mais on va faire des règlements qui vont limiter ça ! Alors vous nos chers citoyens : rassurez-vous ! » Mais qu’est-ce que l’on trouve par derrière ? Qu’ils se sont débrouillés. « Ils… ? » Eh bien, ceux qui veulent spéculer, c’est-à-dire prendre de l’argent sur le dos des actionnaires et de tout ce que vous voulez. Quand vous parlez de la Caisse d’Epargne, je n’ai aucun regret à placer de l’argent sur la Livret d’épargne A. Savez-vous pourquoi ? Cet argent est destiné au financement du logement social. Effectivement, votre Assurance place son argent et vous ne savez pas où. Elle le place dans quoi ? Dans ce qui va lui rapporter le plus. Sans rien regarder d’éthique. Là on est dans une opacité extraordinaire qu’a rappelée le trésorier de l’APF. On ne peut rien savoir. De la Caisse Nationale d’Epargne on le sait. Un gouvernement qui se dit : « Je voudrais plutôt orienter l’épargne vers la bourse - vers les produits qui vont améliorer l’industrie… » On se dit : « Tiens, ce n’est pas mal ! » Et finalement c’est très opaque. S’il va vouloir faire ça, il va baisser les taux de la CNE. Une autre fois il peut se dire : « Tiens, je vais monter un peu le taux de la CNE… » Mais le regard que nous avons sur le placement financier… On ne sait pas dans quoi est placé son argent. Il y a des banques qui ont un peu plus d’éthique : avec Habitat et Humanisme, des produits de la terre, réinsertion sociale ou des choses comme ça. Là vous avez en principe une solidarité sur les intérêts que vous touchez.
Michel Fallas : Ce n’est une habitude française de mettre de l’argent dans des fonds communs de placement. Mais les particuliers ont la possibilité d’acheter directement les entreprises. Donc, si vous choisissez d’acheter des actions de Sony parce que vous considérez que cette Société est bien gérée, ou de Total, si vous préférez, vous avez la possibilité entre citoyens de faire vous-même vos choix par rapport aux Sociétés que vous estimez correctes. Là, on peut faire ses choix directement.
Daniel Gaubiac : Je voudrais préciser que l’Eglise n’est pas autorisée en matière de placements boursiers à faire n’importe quoi. Il y a de règles extrêmement précises qui limitent les possibilités de placement sur certains titres en bourse, sur certains titres du marché financier. Je vous rappelle qu’elle doit l’utiliser pour privilégier la sécurité. Donc elle ne peut pas faire toute action. Elle a pour obligation de ne pas prendre de risque pour ne pas perdre de l’argent qui est placé. Le côté spéculatif que l’Eglise peut tirer d’un placement en bourse est très limité, alors que le particulier peut effectivement faire n’importe quoi. Il n’a pas ces limites et il peut faire de son argent ce qu’il veut – ce qui n’est pas le cas de l’Eglise. Dans l’Eglise on n’est pas là pour placer de l’argent pour gagner de l’argent. On est là pour placer de l’argent parce que l’on a un projet et que cet argent que l’on va gagner en le plaçant, il va servir à financer le projet pour la croissance de l’Eglise, pour l’évangélisation…Là, c’est positif. Sinon ce n’est pas bon.
David Afonso : Je voudrais revenir à la question qui a été posée, celle de l’argent comme une arme. Il ne s’agit pas que l’argent soit placé pour la fabrication d’armes, ni que l’argent serve pour l’achat d’armes, mais il s’agit de l’objet lui-même qui devient une arme. Une arme pour affamer certains pauvres. On le sait bien. Et même une arme aussi pour des changements politiques. Ce n’est pas seulement l’argent qui est une arme. La nourriture aussi est une arme. On le voit déjà dans les pays riches il y a ce que l’on appelle les pauvres, mais qui ont des emplois et qui travaillent. Il y a des pauvres qui n’ont pas de logement fixe. Je pense que la réflexion que l’on devrait avoir est une réflexion par rapport à tout ce que l’on appelle maintenant l’intelligence humaine, la connaissance humaine. Je me rappelle que pendant les années quatre-vingt, j’étais pasteur au Havre à ce moment là, on parlait du Sida. J’expliquais à certains paroissiens que vous allez comprendre pourquoi certains sont pauvres et d’autres sont riches. Vous verrez que les riches vont pouvoir faire soigner leurs malades mais les pauvres ne seront pas soignés. En fait, pour moi, c’est un problème de système. Et les hommes l’utilisent pour faire du mal ou faire souffrir – je ne sais pas si c’est consciemment ou c’est simplement parce que c’est comme ça qu’est le système… Mais en tout cas, il y a quelque chose en nous en tant qu’être humain qui fait que quelque part on a perdu le pouvoir de maîtriser l’instrument ou l’objet que l’on a fabriqué et qui s’avère bien une arme qui peut nous faire du mal.
Joël Dutreuil : Je relis ce que disait notre aumônier. C’est ce que nous avons à placer en face de l’argent : la prédication que nous avons à mener en face de l’argent, c’est la prédication de la paix. Le contraire de l’argent, ce n’est pas la richesse, c’est la paix. C’est encore une réflexion théologique à mener sur le rapport entre argent et paix. On ne peut pas faire de la théologie de l’argent si l’on n’a pas fait une théologie de la paix. Au moins, cela en fait partie. Réfléchissons sur la paix et on aura quelque chose sur l’argent.
Guy Galeran : On a cité la parabole du riche insensé et j’ai été surpris que l’on ne lise pas les deux ou trois versets qui précèdent où il y a une affaire d’héritage. Jésus les met dos à dos. Et puis, s’adressant à tous, c’est-à-dire à vous et à moi : « Gardez-vous de l’avarice ». Certaines traductions parlent de l’argent : « Gardez-vous de l’argent ». La question que je me pose est quelle est la source de l’avarice ? Je ne pense pas que ce soit l’amour de l’argent pour l’argent. Je crois profondément que l’avarice vient de cette angoisse, de l’inquiétude du lendemain, de la peur de manquer. D’où la nécessité d’amasser toujours plus. Et même en ayant beaucoup, il y a quand même cette inquiétude du lendemain, cette angoisse de l’avenir que nous connaissons tous plus ou moins. Jacques Ellul a fait remarquer ce paradoxe : dans une société où nous sommes tous garantis par des assurances, par la retraite, même si la retraite pour beaucoup est insuffisante, c’est dans ces sociétés riches que l’on s’inquiète le plus du lendemain…
Etienne Pfender : Bien sûr, ce sont les pays occidentaux qui consomment le plus de médicaments oximetiques - parce qu’ils ont de quoi de se l’acheter aussi. Pour appuyer ce que vous dites, je donne juste un petit exemple. Là où j’habitais avant, c’était un endroit mixte à la fois pavillonnaire et HLM, là il y avait des petits Franprix qui étaient en dessous de ces HLM. Et au moment de collecte annuelle de la Banque alimentaire, le patron du Franprix mettait un caddie près des caisses pour que chacun puisse déposer, qui du riz, qui une boîte de tomates… Il m’a dit : « Je connais bien mes clients, parce que c’est un petit magasin : ce sont les pauvres, ceux qui habitent au-dessus qui donnent le plus ». C’est très clair. C’était visible. On peut dire que les riches font des chèques que l’on ne voit pas. Mais quand même, il y a un geste quand on est sollicité, vous avez toujours une réponse. Et la première réponse, c’est de ceux qui ont le moins.
Guy Galeran : Je me demande si la peur du lendemain n’est pas le luxe des riches. Parce que celui qui doit s’inquiéter pour aujourd’hui ne peut pas avoir le luxe de s’inquiéter du lendemain.
Evert Veldhuizen : Je pense à nos attitudes. J’entends parler de dépendre des autres. Aujourd’hui j’ai quelque chose. Je le partage avec un autre. Demain je serai dans le besoin et cette personne va m’aider. Quand on le dit comme ça, c’est joli. Mais notre orgueil peut jouer aussi. Est-ce que je suis prêt à supporter l’idée qu’un jour je serai dépendant et que j’aurai besoin de l’aide de quelqu’un d’autre ? On n’a pas parlé d’orgueil, de dépendance - cela porte sur notre sens de la fierté, qui a un sens plus positif que le mot orgueil. Ces choses peuvent jouer aussi. On aime l’argent pour être sûr de ne pas dépendre d’autrui ou de ne pas être humilié. Ce sont des choses que l’on peut aussi prendre en compte dans cette réflexion sur l’argent.
Etienne Pfender : Ce souci est parfaitement illustré dans le petit texte dont j’ai fait une citation tout à l’heure. C’est exactement cette-chose là. Pourquoi vous réfléchissez tant à donner comme ça ? Est-ce que vous ne croyez pas que c’est plus difficile de recevoir ? Regardez celui qui reçoit. Il faut qu’il mette son amour propre dans sa poche. Il faut qu’il se cache presque. Pour celui qui donne : c’est retenir ou périr, et donner c’est vivre.
Daniel Gaubiac : Ce malaise est aussi dû au fait que dans notre culture on n’est pas habitué et on n’est pas préparé à recevoir. Tout est fait pour donner, pour utiliser, pour consommer. Mais rien n’est fait pour recevoir. Et dès lorsque l’on est dans cette situation-là, quelque part on en a honte. Quelque part on se ferme et on se cache. C’est ça la vrai problématique. Alors que l’enseignement biblique nous dit que ceux qui ont doivent donner. Et ceux qui reçoivent de ceux qui sont plus riches doivent se réjouir, parce que l’on est dans la même logique et dans le même mouvement.
Jean-Charles Tenreiro : On est là aussi dans les catégories de ceux qui peuvent et de ceux qui ne peuvent pas, de ceux qui donnent et de ceux qui reçoivent. Tu as bien fait de préciser qu’il y aussi des choses psychologiques qui entrent en ligne de compte. De temps en temps, par provocation lors des cultes où la Cène est célébrée, quand je prêche je dis : « Ecoutez, après avoir partagé la Parole et avant de partager le pain et le vin, on va partage l’argent ». Parce que dans l’Eglise on ne donne pas, mais on partage. Mais, en définitive, c’est ça dans l’Eglise : on n’y donne pas de l’argent. Bien sûr, je sors mon portefeuille et je le déplace. Mais on ne donne pas, on partage. Il y a là une question d’approche différenciée. Pourquoi être comme les gens du monde ? C’est pour cela que j’ai fait état de la difficulté que nous avons avec la liberté que nous prêchons. Je me souviens de cette phrase qui dit que Dieu ne regarde pas l’argent que je donne mais il regarde celui que je garde pour moi. C’est Ananias et Saphira. Le don est libre. On pourra donner tous les calculs que l’on veut, tous les pourcentages que l’on veut – le trésorier national le dira… Si chaque paroissien identifié – je ne dis pas des cotisants - donnait un pour cent, l’Eglise Réformée n’aurait aucun problème. Si les foyers à offrandes nominatives – c'est-à-dire ceux qui donnent régulièrement – donnaient trois pour cent de leur revenu imposable, l’Eglise n’aurait pas de problème. Mais je ne suis sûr que ce genre de phrase plaise à tout le monde, je suis même convaincu du contraire. Effectivement il faut avoir une théologie, mais en même temps il faut que l’on puisse la traduire dans le quotidien de la vie communautaire.
Etienne Pfender : Je crois que c’est Jacques Ellul, que je n’ai malheureusement pas connu, qui a dit qu’avec dix pour cent vous êtes sous la loi et au-delà, sous la grâce. Evidemment, dix pour cent vient de l’Ancien Testament, c’est la dîme, c’était l’organisation de la société – s’il y a des recherches historiques – c’était des impôts. Tout était compris dedans. Il y a aussi Jésus qui, avec cette pièce, dit : « Rendez à César ce qui est à César » - et de l’autre côté : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ». Mais qu’est-ce qui est à Dieu ? C’est nous, pas autre chose. On parle énormément d’argent. Il y a une chose qu’il faudrait peut-être compléter. Je sais bien que c’est le thème de la journée. J’ai déjà dit que celui qui n’a pas les moyens s’il ne donne rien, est-ce qu’il est généreux parce qu’il a seulement l’intention de donner, mais il ne peut pas ? Finalement, il n’y a pas que l’argent. Il y a aussi d’autres façons de donner : de son temps, par exemple. Pendant une vente de l’église, une ou deux fois par an ; naturellement, c’est fait pour récolter de l’argent. Mais il y a une façon un peu pratique qui ne se voit pas trop. Nos vieilles dames de la couture qui cousent des trucs qui se vendent après ça. Elles n’ont peut-être pas d’argent à donner, mais ce qu’elles peuvent donner va donner de l’argent. Elles ont fait quelque chose. C’est tout bête, idiot, un tout petit exemple. Mais ça montre qu’en se focalisant sur l’argent, je pense que ce n’est pas une bonne piste.
Daniel Gaubiac : Je voudrais revenir sur le virement qui est demandé aux paroissiens. Aujourd’hui on a une grosse difficulté avec le virement. C’est que les banques l’ont rendu payant. Il ne faut pas perdre de vue que ça décourage les donateurs d’automatiser leur versement à l’Eglise. Deuxièmement, ils pourraient changer le montant parce que la vie augmente. C’est pareil, parce que la banque va annuler le virement antérieur et en créer un autre et prendre des frais. Aujourd’hui, je ne suis pas du tout convaincu qu’il faille encourager la mise en place de virements. Ce qu’il conviendrait de faire, ça serait que l’Eglise soit autorisée à émettre des prélèvements, qu’elle puisse les prélever des comptes. C’est une opération gratuite. Là, on peut modifier directement le montant quand on le veut.
Christian Vilmer : Je n’ai pas parlé des banques et je ne vais pas faire de publicité ou de contrepublicité, mais on était au CCF initialement - qui est devenue SHBC. En l’espace de quelques années, je me suis retrouvé avec des frais de fonctionnement qui me paraissent rédhibitoires. Dans le cadre d’un projet immobilier que l’on avait sur Boulogne, j’ai été amené à changer de banque pour aller au Crédit Agricole qui nous a fait des conditions nettement meilleures. Mais c’est vrai que si je veux avoir une consultation sur internet, c’est payant. Si je ne veux pas avoir une consultation internet mais un relevé à chaque mouvement que j’avais gratuitement, c’est payant, 12 € par mois. J’ai des frais de compte qui sont à 48 ou 50 € par trimestre. Quand je mets ça bout à bout, il est clair que depuis six mois - j’ai expliqué à la banque - que ce n’était pas jouable. On a également vis-à-vis des banques des choses à faire évoluer, parce que dans l’espace d’un à deux ans, les coûts ont vraiment augmenté de manière importante. Le choix de la banque se fait de par les conditions de prêts que l’on a pour construire un bâtiment ; peut-être pourrait-il y avoir pour la Région ou des niveaux au-dessus des accords ou des banques à privilégier de par les conditions qu’elles font aux Associations et aux Associations cultuelles.
Etienne Pfender : Concernant le virement et le prélèvement, j’ai une petite information pratique. A Colombes nous avons institué récemment – donc nous en faisons l’expérience – le prélèvement automatique. Il faut bien distinguer le virement que je fais à l’Eglise ; et donc je vais tapoter sur internet. Ce virement-là est gratuit. Mais il y a effectivement d’autres personnes qui payent pour faire ce virement. Par contre, pour le prélèvement automatique, je dis à la banque de l’Eglise : « Voilà, le paroissien de l’Eglise a rempli un petit papier pour être prélevé automatiquement, régulièrement de telle somme qui est indiquée sur le papier ». Vous connaissez ça tous pour d’autres Associations, notamment caritatives lourdes et beaucoup plus importantes. J’ai fait des recherches et je me suis adressé à plusieurs Associations qui faisaient le prélèvement automatique, dont le Secours catholique. La mise en place de tels procédés était rédhibitoire. Vous aviez d’abord la mise en place durant plusieurs mois. Il fallait acheter un logiciel spécial pour chaque opération. Nous avons un budget de 150.000 €, pourtant c’était hors de question pour nous. On a 200 donateurs en moyenne. Pour que ce genre d’opération fonctionne, il faut des donateurs très réguliers et de nombreux donateurs. J’ai cherché et j’ai trouvé une banque qui nous a donné un numéro national d’émetteur. Cela coûte 3 € pour mettre la chose en place de façon définitive. Naturellement, chaque fois qu’il faut changer le dossier ils reprennent 3 €. Ils prennent 0,02 € par prélèvement. C’est hors concurrence ; personne d’autre ne m’a proposé ça. Je ne sais pas comment on fait pour négocier. Peut-être étaient-ils contents de nous avoir ? En voyant notre budget, on voit pourtant que c’est une Association minuscule. Ils ont accepté ça. Nous avons commencé à faire une petite campagne sur 200 donateurs. On a déjà une petite dizaine depuis les trois ou quatre mois que nous avons commencés, ce n’est pas mal. Et surtout ce que je remarque c’est que – je suis seul à avoir les chiffres des donateurs – sur le montant que ces gens-là ont marqué comme prélèvement automatique par rapport à ce qu’ils donnaient en chèque ; ça me couvre bien tous mes frais pour l’année ! Il y a certains avantages quand même et je vois paraître des gens qui donnaient pas et qui maintenant donnent. C’est une question un peu compliquée, c’est vrai que c’est complexe. En ce qui concerne la réévaluation du don, naturellement on se dit qu’ils ne vont jamais réévaluer en plus… Là aussi il y a peut-être à réfléchir. On a fait une campagne quand il y avait un prélèvement automatique ; on va pouvoir faire une campagne pour que l’on le réévalue ! Ce n’est pas interdit.
Christian Vilmer : Pour compléter ça, il y a une autre chose qui serait envisageable et peut-être plus facile à mettre en place au niveau régional ou national. C’est quelque chose que j’ai vu dans d’autres Associations, notamment d’étudiants ou d’anciens étudiants. C’est d’utiliser internet. On a déjà commencé à utiliser des mailings qu’on adresse à cent ou cent vingt paroissiens pour les informer qu’il y a un culte familial, un culte de Noël, etc. Ils reçoivent dans leur boîte aux lettres des informations. Du fait que cette information peut être mieux structurée, plus belle, elle pourrait également être d’ordre purement financier, avec le pion : « Vous n’avez pas fait de versement ? Cliquez là. Donnez votre numéro de carte bleue », et hop, on le valide, on verse. Ca marche très bien dans des Associations qui ne sont pas cultuelles. C’est un peu lourd à mettre en place techniquement pour une paroisse toute seule, parce que cela suppose de maîtriser un peu internet, d’avoir des liens avec des banques. Mais recevoir un mail qui vous dit : « Est-ce que vous avez payé ce trimestre, en cette fin d’année ? » si vous êtes au travail vous avez juste à cliquer avec votre numéro de carte bleue… A mon avis il y a de vraies pistes. Le retour que l’on a des gens qui reçoivent des messages leur donnant régulièrement des informations directement dans une boîte aux lettres qui peut être consultée chez eux ou au travail est plutôt positif.