Christian Vilmer est Trésorier de l’Eglise Réformée de Boulogne-Billancourt
J’ai 52 ans, je suis dirigeant d’une petite entreprise, une PME. Je suis dans l’associatif depuis que j’ai une vingtaine d’années - en tant qu’étudiant dans des associations non-cultuelles. Et ensuite, baptême d’enfants aidant, on m’a appelé et ça fait maintenant dix-huit ans que je suis trésorier de paroisse. D’un certain côté, il faudra que je passe la main, et de l’autre on est bien content de m’avoir sous la main…
En dix-huit ans, le métier a grandement évolué. Quand je suis arrivé il n’y avait évidemment pas de logiciel comptable ni de gestion. Comme j’étais un peu informaticien - je faisais du contrôle de gestion - j’avais un certain nombre de bases. Je sortais d’Associations 1901 un peu ludiques, c’était plutôt des tableurs Excel. Je prenais la suite de gens qui faisaient des comptes, même pas sur des fameux « cahiers à bandes paresseuses », comme on disait, mais sur des cahiers d’écolier avec des + et des -. Vu de notre œil maintenant, cela ne faisait pas très professionnel ! Quand je regarde ce que l’on fait maintenant, avec l’obligation de pouvoir faire face à des contrôles, de rendre des comptes à la Région, de donner des informations aux paroissiens, de gérer plusieurs comptes et éventuellement des placements, je me dis que ce n’est plus possible de faire maintenant comme on faisait il y a vingt ans. Je ne dis pas que l’on est obligé de faire appel à des comptables diplômés, mais il faut avoir des gens qui savent ce que sont des numéros de compte, un bilan… Les choses sont devenues relativement techniques.
Ce n’est pas forcément ce qui est le plus amusant à faire. Je suis perçu dans la paroisse comme celui qui se salit un peu les mains. Je traite de l’argent, c’est-à-dire que je ne suis pas très propre. Mais on est bien content de m’avoir. Il peut y avoir des personnages dans la Bible qui se chargent de se salir les mains pour le plus grand bien de tous. On a l’impression que le trésorier, c’est un peu son rôle.
Ma paroisse est dans l’Ouest parisien. On dit Boulogne, mais c’est dans l’Ouest parisien, Boulogne et Billancourt. La partie Billancourt devient de plus en plus petite et la partie Boulogne de plus en plus grande. On n’a pas tellement d’ouvriers, mais plutôt des jeunes, des cols-blancs, des familles où les deux travaillent. Ils ont généralement pas mal d’enfants, deux, trois, quatre, qui courent dans tous les sens. Ce sont en théorie des gens dont le revenu est plutôt moyen-haut. Et pourtant, dans la pratique, la moyenne du don à Boulogne est inférieure à celle des dons dans la Région parisienne. Il faut que ça change, c’est vrai. Depuis que je suis trésorier, on a remonté un petit peu, mais globalement on est toujours en-dessous de la moyenne. On essaie de faire changer cela, mais c’est dur. On a une pyramide d’âges dont le noyau est entre 30 et 50 ans ; des gens toniques mais peu disponibles. Notre conseil presbytéral – surtout en cette année de vacance de pasteur – n’est pas facile à tenir. Toute la frange des jeunes retraités – c’est-à-dire de 55 à 65, 70 ans - des gens qui sont disponibles et en forme -, on n’en a pas du tout. C’est très agréable d’avoir beaucoup d’enfants à l’Ecole biblique et au catéchisme. Mais en revanche, le manque de bras avec si peu de disponibilités est difficile à vivre.
A l’époque, le comportement de la paroisse vis-à-vis de l’argent était classique. « On ne gaspille pas l’argent des paroissiens. » Donc, on ne le dépense pas. L’avarice n’était peut-être pas tellement loin. Moyennant quoi on avait des locaux qui n’étaient pas en bon état. On se serrait la ceinture. On allait porter plutôt les bulletins paroissiaux grâce à des retraités plus ou moins jeunes que par La Poste. On était très content de serrer le cordon de la bourse. Le résultat est que c’était quand même assez moribond. Il a fallu avoir un pasteur qui a dit – pas comme ça, mais je le traduis avec des mots de trésorier – qu’il valait mieux investir. C’est comme ça que l’on se développe, plutôt que de garder son argent, de l’enterrer et de revenir dix ans après pour voir si par hasard quelque chose n’a pas poussé… Généralement, l’argent enterré ne fait pas pousser ! On a commencé à dépenser, et cette dépense s’est accompagnée de locaux plus agréables et d’une activité d’évangélisation plus tonique. On a largement récupéré l’argent dépensé. On avait été dans une approche « Je garde l’argent, je ne le dépense pas ». A l’usage on s’aperçoit que ce n’est pas la bonne option. Faut-il aller jusqu’à essayer de le placer sur des fonds plus risqués ? Je n’irai pas jusque là, mais on a besoin de dépenser de l’argent.
Le rôle du trésorier vis-à-vis du conseil presbytéral est, de mon point de vue, très particulier et souvent ambigu. C’est en tous cas comme ça que cela se passe dans la paroisse de Boulogne, la seule dans laquelle j’ai eu des responsabilités. Le trésorier est celui qui tient les comptes, qui sait qui donne et qui ne donne pas. Ce n’est que lui qui peut le savoir. Il peut dire à un pasteur qu’il peut y avoir des démarches à faire pour « motiver » telle ou telle famille pour essayer de la ramener dans le « giron » ou de faire attention à tel ou tel autre très gros contributeur… Ce sont des choses un peu compliquées. Mais, pour autant, elles sont nécessaires.
Le trésorier est un technicien qui connaît des règles comptables que les autres ne connaissent pas. Et, finalement, au nom de cette technique, on finit par se faire déléguer des missions qui ne relèvent pas du trésorier. J’ai du mal à expliquer aux gens que l’animation financière ne relève pas du simple trésorier. Savoir lire des comptes et savoir ce qu’il faut en tirer comme conclusions, ce n’est pas à laisser dans les mains du trésorier. On finit par laisser prendre au trésorier des décisions sur tel type de dépense, sur tel type d’investissement ou de non-investissement. C’est finalement moi qui l’ai fait prendre, parce que je présente un projet de budget. Les gens disent : « Oui, c’est très bien ». Si c’est équilibré : « Ca va dans le bon sens » et on passe à autre chose. C’est, à mon avis, un risque qui ne doit pas exister en conseil presbytéral ; de déléguer à un trésorier des décisions qui ne doivent pas être prises uniquement sur la base de la reconduction pure et simple de chiffres de quelqu’un qui présente un avis technique.
Depuis sept ou huit ans j’observe des évolutions dans les comportements des paroissiens. Elles consistent à donner de moins en moins régulièrement, mais à donner plus sur des projets. Quand il y a des projets - achat de voiture, construction d’un bâtiment - c’est bien. Mais il n’y a pas de projets tous les ans. Le seul projet que l’on a finalement est d’arriver à boucler le budget en fin d’année. En 2003, j’avais 30 % des offrandes nominatives qui arrivaient en décembre. En 2007, l’année la plus forte, c’était 64 %. Comme on avait une partie de l’année 2008 sans pasteur, les gens donnaient moins. La répartition a un peu baissé ; il y avait 50 % en décembre. Je préfère que l’on donne plus tôt chaque année. Je ne sais pas si cela se vérifie dans d’autres paroisses, mais c’est un souci régulier pour le trésorier du conseil presbytéral de voir ce décalage.
Pour contrebalancer ça, on a suggéré aux gens de faire des virements réguliers, mensuels. Cela n’a pas rencontré beaucoup de succès. Le virement mis en place il y a cinq ans n’a pas bougé et n’a jamais été réévalué. Avec le passage à l’Euro, on s’attendait à ce que les gens essaient peut-être d’arrondir. Il n’y a pas eu de mouvement. Cela ne veut pas dire que les gens ne donnent pas plus. Ils peuvent donner plus à l’occasion d’une vente ou d’un appel. Ils vont faire un complément. Mais le versement régulier fonctionne un peu comme le prélèvement d’impôt, des assurances… Dans un budget personnel, cela perd un peu de son sens. Je ne suis pas pour généraliser cela. Même si, lorsque l’on arrive au mois de décembre, on stresse un petit peu, quand même…
Quand l’année se passe bien, on essaye de dire aux gens : « Ça c’est bien passé, mais il faut un petit coup de rein quand même pour arriver au budget ». Le taux de réponse est faible. Quand on dit : « Tout va bien, on a plus de monde, mais il faut quand même donner un peu plus », les gens ne réagissent pas. Quand on leur dit : « Oh-là-là !, ça ne va pas, on ne fera jamais le budget, on va être en déficit », alors là les gens se mobilisent. On a essayé le message positif. Mais culpabiliser et angoisser, il n’y a que ça qui marche.
La question était posée qui se fait le plus plaisir, celui qui donne ou celui qui reçoit. C’est vrai que l’on est en France en général, et probablement dans le protestantisme en particulier, dans une culture où l’acceptation du don est quelque chose de très difficile. Même à titre personnel, quand quelqu’un vient vous dire : « J’ai un chèque pour vous », je ne sais jamais comment dire « Merci » avec un grand sourire sans être gêné. Et quand on veut remercier les paroissiens pour ce qu’ils ont fait, ça tient du minimum syndical. On n’arrive pas à créer une véritable impression de remerciement. Quand on voit ce que font les Eglises anglo-saxonnes, on a l’impression qu’il y a là une vraie joie à recevoir et à dire merci. On a du mal à dire merci avec une grande impression de bonheur qui s’en dégage. On est preneur de suggestions. J’ai déjà entendu des présentations écrites, orales. On n’a pas réussi à mettre en place une manière vraiment efficace. J’ai probablement oublié un tas de choses qui sont propres au rôle du trésorier au jour le jour ?