L’argent et… la Bible.
Il n’y a pas question plus hautement spirituelle que d’établir un budget, écrit le bibliciste Daniel Marguerat. Une affirmation réconfortante pour les trésoriers des églises qui ont le sentiment que leur ministère aurait une valeur moindre que des services plus « spirituels » comme la prédication, la liturgie, l’accompagnement pastoral… Cette approche s’adresse également aux pasteurs un peu (trop) pudiques, qui pensent que l’argent est matière à éviter dans leurs discours…
L’argent occupe cependant une place positive dans l’Ancien Testament. Il y exprime la bénédiction de Dieu. Son peuple est appelé à assurer une répartition juste des biens. Des périodes liturgiques de redistribution permettent à ceux qui ont perdu de redémarrer. L’offrande des prémices exprimait la conviction que l’homme n’a pas la maîtrise totale de « son » argent. C’est un lâcher-prise libérateur.
Jésus va jusqu’à personnifier l’argent. Mamon apparaît comme la garantie de stabilité. L’Evangile démasque une puissance spirituelle dans l’argent, lorsque l’attitude adoptée à son égard décide du sens de la vie. La sacralisation de l’argent isole les hommes dans l’illusion. Par contre, l’argent peut servir à créer des liens entre les hommes. Jésus plaide pour qu’il serve à construire des relations. La profanation de Mamon détrône l’argent de son statut absolu et le consacre au service de la vie.
Certaines des premières communautés chrétiennes tentaient d’appliquer une utopie du partage qui ne constitue pas un modèle à suivre. L’Eglise retiendra surtout du Nouveau Testament la collecte et le bénévolat comme façons de partage les mieux adaptées. La Bible n’impose pas de recettes, mais elle souligne la responsabilité de chacun. C’est vivre dans une tension permanente entre l’ultime et le perfectible.
Le théologien Félix Moser le définit ainsi : « L’Evangile questionne notre rapport à l’argent et la fascination qu’il peut exercer au point qu’il devient raison de vivre et fin en soi. Même si l’argent ne doit pas être démonisé, la manière dont nous l’utilisons doit permettre de servir et non pas d’asservir.
L’argent n’est donc pas à bannir, mais devient le lieu d’un questionnement sur nos valeurs et la confiance que nous leur attribuons. Il a une odeur. Il peut empester ou embaumer. »
L’argent et… les patrons.
Réforme et Dirigeants chrétiens viennent de publier un dossier commun proposant des éléments pertinents. Par exemple, des témoignages de chefs d’entreprises attestent qu’ils ne sont pas aussi « obsédés » par l’argent que des caricatures le suggèrent parfois. La paix avec soi-même vaut mieux que l’argent, dit l’un. Un autre estime que nous ne sommes pas propriétaires de la terre, mais usufruitiers.
L’argent n’est pas un moteur, mais un moyen de libérer des potentialités créatrices, tout en l’accompagnant d’un code de conduite morale de vie en société. Le fait de posséder n’a rien d’une faute, et ce n’est pas en prenant aux riches que l’on va mettre les pauvres debout. Pour de nombreux patrons, l’objectif d’une vie n’est pas l’enrichissement personnel, mais l’utilisation des fonds récoltés pour le bien commun.
L’argent et… le protestantisme.
Le professeur d’éthique théologique Denis Müller montre la pertinence de la célèbre thèse wébérienne – à condition qu’elle soit intégrée aux analyses du puritanisme et des transformations intervenues entre-temps qui ont affecté l’idée même du capitalisme.
Le lien établi par Max Weber entre l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme paraît moins évident aujourd’hui. Des études historiques du protestantisme puritain et des évolutions du capitalisme postérieures à Weber imposent une relecture pour parvenir à une analyse adaptée à la réalité du 21ème siècle. La logique actuelle du capitalisme est devenue une réalité abstraite par son accent sur sa dynamique formelle. Ce constat suscite de l’inquiétude. Cette inquiétude participe à la tension constitutive du capitalisme ; entre ses formidables potentialités créatives et aberrantes. Dans le même ordre de dialectique, la logique capitaliste d’une insatiabilité illimitée est totalement différente de l’esprit du capitalisme qui est de nature éthique et critique.
Max Weber s’est référé à Luther qui a souligné le sens vocationnel du travail, fournissant ainsi un outil normatif qui accompagne par une approche critique le processus d’accumulation. La valorisation personnelle créée par le sens vocationnel implique la liberté. Mais la liberté fait l’objet de critiques individuelles et sociales. Ces critiques intègrent la distanciation du capitalisme lui-même. Donnant une signification centrale à la personne, elles prennent position par rapport à la dynamique potentiellement circulaire du capitalisme.
Elles touchent au problème de l’utilitarisme non-bridé qui est radicalement à l’opposé de la théologie chrétienne. L’utilitarisme n’est pourtant pas à rejeter. Un utilitarisme méthodologique participer à la pensée économique de façon féconde. Il devient alors facteur de l’économie au lieu d’en être son seul critère. L’utilitarisme s’avère… utile.
La liberté implique la justice. Mais il faut définir laquelle. Par exemple, une justice abstraite ne suffit pas, ne pouvant prendre en compte les différences entre les personnes et leurs charges. Par contre, la justice sociale peut les apprécier pour établir les droits de chacun. Ces droits ne portent pas sur l’égalité utopique de la distribution des biens sans distinction des personnes, mais plutôt sur l’égalité réaliste des chances, permettant à chacun de s’épanouir et de contribuer à la construction d’une société plus juste.
Comment relire la thèse wébérienne de l’éthique protestante ? En appliquant la thématique de la tension théologique entre la foi et les œuvres. L’assurance du salut par la seule grâce de Dieu libère les hommes à engager des œuvres sans mauvaise conscience.
Cette liberté peut inspirer une formidable fécondité. Mal comprise, elle peut mener à l’égoïsme. Mais elle se trouve aussi en tension permanente avec son entourage, avec autrui, le monde. A côté de la contrainte qui lui est imposée de l’extérieur, la conscience du protestant est encore davantage contrôlé par l’éthique qu’il porte et cultive dans son for intérieur. N’est-ce pas par cela que cette éthique se distingue ?
L’argent et… le pasteur.
Comme ses concitoyens salariés, le pasteur reçoit un virement sur son compte vers la fin du mois. Ce versement ne représente pas la totalité de sa rémunération. Ses frais d’hébergement avec sa famille au presbytère, ses frais d’énergie, d’eau et de chauffage sont également pris en charge par l’Eglise.
Sur le bulletin de paie figurent de nombreux chiffres sur plusieurs lignes. Entre le traitement de base et le montant à payer, des additions et déductions sont précisées et détail. Des taux appliqués aux éléments de base dégagent des gains salariaux, des retenues salariales et des charges patronales. Le tout est calculé en conformité à la législation en vigueur. Si ces opérations échappent au contrôle du pasteur, il lui reste le montant versé sur son compte.
Est-ce là que commence sa gestion personnelle ? Si le foyer pastoral n’a pas d’autres revenus, ce montant s’avèrera si proche des besoins de la famille que l’utilisation laissera peu de marge de manœuvre. Nourriture, vêtements, dépenses nécessaires pour les enfants… L’utilisation de cet argent est déterminée par les besoins. La gestion de l’argent du pasteur lui-même concerne donc davantage les nécessités présentes que les investissements à long terme.
L’argent et… l’Eglise et l’argent.
Les Eglises vivent matériellement grâce aux seuls dons des membres. Les personnes qui donnent le font dans une optique spirituelle, à l’instar du don gratuit de Dieu. Elles entendent aussi contribuer au fonctionnement de l’Eglise. Ces rentrées représentent par conséquent un double caractère : à la fois spirituel et matériel. Dans la plupart des cas, les associations cultuelles adoptent un budget annuel à partir d’un projet lié à une estimation raisonnable des moyens. Certains inversent cet ordre en calculant le projet à partir des moyens. A chacun son approche…
Les Eglises vivent souvent à la limite entre recettes et dépenses. Pas toujours facile de boucler le budget ! Lorsque l’année s’achève dans le vert, la reconnaissance est triple ; envers Dieu pour sa grâce, envers les donateurs pour leur générosité, envers le trésorier pour la gestion maîtrisée. Tout en paraissant pauvre dans son étendue modeste et limitée, la gestion financière de l’Eglise offre par ces trois dimensions un champ théologique riche en humanité et espérance.
Sources. MARGUERAT, Daniel (dir.) : Parlons argent. Economistes, psychologues et théologiens s’interrogent. Genève, Labor et Fides, 2006, 141 p. ISBN 2-8309-1199-7. - MOUTON, Jean-Luc & PARC Thierry du : Dieu. L’argent. L’économie. Paris, nov-déc 2006, numéro spécial commun de Dirigeants chrétiens et Réforme, 28 p. Voir également le dossier de Réforme, n° 3246 du 8-14 nov. 2007 ; n° 3247, du 15-21 nov. 2007, pp 2-3 ; DVD du Colloque Réforme / Institut de l’entreprise. Dieu. L’argent. L’économie. Paris, Chronovidéo, déc. 2007.