Jean-Charles TENREIRO est Président du Conseil régional de l’Eglise Réformée de France, Région parisienne
Je n’ai pas préparé d’intervention, mais puisque j’ai participé à un groupe de réflexion, j’ai quelques idées à partager. Je me souviens, lorsque j’ai décidé, au cours de mes études de théologie, de devenir pasteur, je suis allé voir le président du conseil régional de ma région. A l’époque c’était Jean Seigneur – certains d’entre vous l’avez connu. Il m’a dit : « Un jour, quand tu seras pasteur, il faut que tu fasses deux choses : d’abord que tu te trouves ton pasteur. » C’est ce que j’ai fait depuis vingt-cinq ans ou plus. « Et surtout, que tu ailles prier tous les quinze jours avec ton trésorier. » C’est ce que j’ai fait aussi. Tout cela pour dire que, de mon point de vue et de par mon expérience de pasteur de paroisse et maintenant de président de conseil régional, la question de l’argent dans l’Eglise est une question pastorale et spirituelle.
Il se trouve que j’ai eu la chance de parfaire mes études en théologie dans la paroisse de Bois-Colombes dont Etienne parlait tout à l’heure. Et où effectivement, je le confirme, il n’y a pas de souci d’argent, parce que pour la plupart des gens engagés dans cette Eglise, l’argent est une question spirituelle. L’année dernière, sur la région parisienne nous avons fait une petite enquête pour déterminer quelles étaient les Eglises en croissance de la région et aussi pour vérifier pourquoi et comment c’était possible. Et nous avons pris un paramètre imparable : c’est le nombre de foyers à offrandes nominatives. On a tant de foyers qui donnent tant d’argent à la paroisse. On s’est rendu compte que sur les 68 paroisses de la région parisienne, 24 contribuaient positivement à la solidarité au niveau de la région. Les paroisses en croissance étaient disséminées à travers toute la région, il n’y avait pas de « paroisse type ». Par contre, les points communs à toutes ces paroisses, quelque soit la taille, quelle que soit la sociologie, c’était 1 : un projet. 2 : Une équipe pour mener le projet. 3 : Une information à la communauté locale.
Voilà ce qui fait une paroisse en croissance. Je ne dis pas que c’est forcément une approche spirituelle de l’argent. On est, je crois, dans l’illusion, dans l’utopie de l’Eglise idéale. Pendant très longtemps on est resté sur une vision idyllique des Actes des Apôtres où ils mettaient tout en commun et se partageaient tout et chacun avait selon ses besoins. Ceci est d’une nature tout à fait partiale et partielle, parce que dans les mêmes Actes il y a l’histoire d’Ananias et de Saphira. Si le rédacteur – Luc – avait voulu nous montrer une version idéale, il aurait gommé l’épisode d’Ananias et Saphira. Or, l’épisode d’Ananias et Saphira est là. Première indication. Je ne vais pas vous faire l’injure de faire l’exégèse de ce texte-là, mais on ne sait pas pourquoi ils meurent. Ce que l’on sait, c’est qu’ils meurent. Je ne vais pas faire la relation entre le fait qu’ils aient menti qu’ils soient morts. En tout cas, ce que le texte met en évidence, c’est qu’ils ont gardé une partie pour eux sans le dire aux autres. Quant à la veuve dans l’Evangile de Luc, des générations de trésoriers d’Eglise et de pasteurs ont tordu ce texte pour en faire un exemple. Elle n’est pas citée en exemple par Luc. Juste avant il y a une diatribe de Jésus contre les juges qui spoliaient les veuves. Il y a cette veuve qui donne de sa vie, son bio, selon le texte grec et Jésus ne la cite pas en exemple. Et du reste ce qu’elle fait ne sert à rien puisque Jésus dit que le temple sera détruit. Je reste avec cette histoire de questions spirituelles.
J’ai fait partie effectivement du groupe de réflexion sur la campagne du don en 2001, dont reste la frustration qu’elle n’a pas été suffisamment accompagnée derrière. Il y a un corps très beau de matériel qui malheureusement prend de la poussière dans les sacristies ou dans les bureaux des pasteurs. Si vous l’avez chez vous, je vous invite vraiment à aller regarder, parce que ces choses peuvent vraiment être utiles. Souvenez-vous aussi de l’affiche qui était une erreur technique « L’Evangile est gratuit, l’Eglise a un coût ». Je revendique la paternité de ce slogan. Il a fallu six mois pour que je le fasse accepter au Conseil national. On trouvait que c’était trop violent au départ. Alors j’ai laissé passer un peu de temps et je l’ai présenté quelques mois après exactement de la même façon, mais les choses avaient évolué.
Ce que je veux dire par là, c’est que pour arriver à ce seul slogan, on a tergiversé, beaucoup discuté, parce que l’on voulait faire en fait au départ une série de quatre affiches, un peu comme celles que vous avez pu voir pour le Defap, pour la Cimade, qui avaient décliné une série d’affiches comme ça. Je trouve ça très intelligent. On avait un peu un temps réfléchi sur des slogans comme : « Je donne de l’argent à mon Eglise pour que mes enfants soient catéchisés », ou « Je donne de l’argent à mon Eglise pour que je puisse avoir un bon enterrement », ou « Je donne de l’argent à mon Eglise pour que le temple de mon enfance reste ouvert ». On n’avait peut-être pas décliné ça aussi trivialement et de façon aussi caricaturale, mais voyez ce que cela veut dire, derrière notre réflexion on avait en tête qu’en fait les gens donnent de leur argent de leur tripes. Je crois qu’ultimement c’est ça, ou premièrement. Or, il me semble que notre responsabilité en tant que pasteurs et conseil presbytéral, conseil régional et conseil national, était vraiment d’essayer de donner des instruments qui manquent pour que l’on change un peu de mentalité et d’approche. D’où la création du matériel sur le don, qui comprend un certain nombre de choses tout à fait concrètes : des prédications sur l’argent, des études bibliques, de la catéchèse, etc. C’est encore très bien fait. Ça n’a pas trop vieilli.
Tout ça pour dire que j’ai le sentiment que nous n’arriverons pas à faire à l’image des catholiques, parce que nous ne jouons pas sur le même registre : une campagne nationale d’envergure pour tout le monde. Tous les ans il y a la campagne pour le denier du culte. Denis Müller nous a parlé de « compter sur… » C’est demander : « Combien est-ce que je vaux, devant Dieu, devant les autres, devant moi-même ? » Je compte pour Dieu. Je compte pour les autres. Je compte pour moi-même. Le dernier slogan de la campagne catholique était très intelligent. « Mon Eglise compte pour moi – elle compte sur moi. » Je trouve ça à la fois dans la sémantique et dans l’idée très intelligent. Je connais un peu celui qui fait ces campagnes. C’est un consultant qui est à côté de Grenoble. On l’a fait intervenir dans notre Eglise à Lyon à l’occasion de « Débat 2000 – 2000 débats » et vraiment lui aussi a cette approche-là de spiritualiser un peu les choses. Je crois que nous ne pouvons pas avoir de campagne d’envergure et c’est entre autres la raison pour laquelle, même si nous organisons en région parisienne des rencontres pour les trésoriers, nous ne faisons pas d’animation financière régionale parce que les situations se valent évidemment, mais aucune n’est comparable à une autre. Je crois que l’on peut tout au plus donner des grandes lignes de méthodes et de pédagogie, mais en tout cas, c’est localement que les gens – conseillers presbytéraux, pasteurs, trésoriers – ont la culture locale où pourra vraiment se développer une animation financière.
Les choses deviennent très compliquées. Je vois en région parisienne – peut-être un peu plus qu’ailleurs en France – un certain nombre de paroisses qui sont obligées de passer par un commissaire aux comptes puisqu’elles ont un budget qui dépasse les 150.000 € en offrandes nominatives. Cela veut dire que la tenue des comptes de paroisse devient très compliquée, y compris pour des petites paroisses. On est assujetti à tellement de règles que du coup ça désengage des gens. J’ai encore cette semaine une trésorière qui a démissionné. Elle dit : « Je n’en peux plus. » On va prendre ça pendant quelque temps sous tutelle au niveau du conseil régional.
Je crois que nous ne vivons pas la liberté que nous prêchons. Je n’ai fait que deux paroisses - je n’ai fait que des ministères un peu longs ; neuf ans dans la première, onze ans dans la seconde. Heureusement, les mandats des présidents de conseils régionaux sont électifs et on va me limiter dans mon élan ! Mais dans les deux paroisses que j’ai connues, dans les archives, dans les journaux paroissiaux – « Notre Effort », c’est tout un poème ! – même à Batignolles, j’ai trouvé sur d’anciens numéros les noms des paroissiens et le montant de l’offrande qu’ils versaient à l’Eglise. Est-ce qu’aujourd’hui nous serions capables en fraternité communautaire de supporter à nouveau la publication de cela ? Souvenez-vous aussi du tollé qu’il y a eu, il y a une quinzaine d’années, quand il s’est agi d’afficher le montant de l’imposition des citoyens dans des mairies. Non pas du revenu imposable, mais juste ce qu’ils payaient comme impôt. Tout cela pour vous dire que là aussi nous sommes un peu coincés par rapport à ça. Longtemps encore l’argent sera un sujet tabou en Eglise.
Cela dit, il faut reprendre aussi ce que l’on a dit : « On donne avec ses tripes ». C’est un peu trivial et un peu rapide de le dire comme ça. Mais il y a quand même un peu de cela. Il serait intéressant de demander à des pasteurs de paroisse comment ils catégoriseraient les gens qui donnent. Je crois qu’il y a plusieurs catégories. Il y en a qui donnent par principe : « Familialement on a toujours donné dans l’Eglise, donc je donne à l’Eglise, voilà. Et puis d’autres qui disent « C’est important parce que j’ai reçu la grâce, etc. et je comprends aussi que l’Eglise a besoin de mon apport pour vivre. » Et puis, par rapport à la catéchèse : « Je paye un service. » Cela dit, pourquoi aussi ne pas être complexé par rapport à ça ? Je me souviens avec émotion de quelques personnes que j’avais accompagnées pendant un catéchisme pour adultes à Batignolles, des jeunes cadres dynamiques, des gens qui ne venaient pas du tout du protestantisme et qui m’ont demandé : « Combien je vous dois ? » J’ai dit : « Rien. » Mais si, vous avez passé du temps pour moi, je ne suis pas un de vos paroissiens ! » « Mais laissez-moi vous expliquer comment marche l’argent dans l’Eglise. » Et les trois ou quatre auxquels je pense sont restés des gens très engagés dans l’Eglise et je crois de généreux donateurs. Je crois qu’il y a aussi des choses à provoquer pour faire en sorte que les gens soient généreux et heureux de donner.
Pourquoi les gens restent-ils dans l’Eglise ? Parce qu’ils sont accueillis et nourris. Accueillis, parce qu’ils sont vraiment considérés et ont vraiment une place. Je crois que là notre Eglise Réformée de France a encore d’énormes progrès à faire - par rapport à certaines paroisses évangéliques qui appliquent d’autres méthodes certainement, mais où les gens se connaissent, où il y a une vraie attention à l’autre. Et nourris, parce que l’on aura pris en compte leurs besoins, leurs demandes, que ce soit matériels ou spirituels. Pourquoi les paroisses qui s’occupent des enfants – qui ont un éveil à la foi, une école biblique bien structurée et organisée, arrivent-elles aussi à capter les parents ?
Dans le domaine de la générosité, j’ai pensé à l’élan provoqué par le Tsunami. Je ne sais pas si vous vous souvenez. La Croix Rouge, parmi d’autres, chargée de gérer l’argent rassemblé après le Tsunami ne sait pas quoi faire de cet argent. C’est la confirmation que ce sont les tripes qui parlent. Théologiquement on peut se poser la question et il faut réinvestir, réhabiliter la réflexion spirituelle et théologique autour de l’argent.
Pour terminer ce brouillon que je viens de vous livrer, je dirai que finalement cette réflexion sur l’argent est toujours un travail à reprendre. Il y a certainement une pédagogie à adapter, à adopter ou à trouver, parce ce qu’il n’est pas évident, et même de moins en moins, parce que même si le trésorier national nous disait tout à l’heure qu’il y a moins de gens qui donnent, la somme globale s’étoffe. Ce n’est pas que Paris ou la région d’Île de France, mais il y a aussi des paroisses rurales, etc. On a des gens qui ne sont pas du tout issus du protestantisme ou même de la mouvance chrétienne à qui il faut expliquer comment on fonctionne. Même parfois avec des gens d’origine protestante on a de grosses surprises – y compris parmi des gens dont les familles sont protestantes depuis des générations et qui croient que l’Eglise est conventionnée par l’Etat ! Je crois qu’il y a là un travail sans fin toujours à reprendre ; d’explication, d’information à quoi sert l’argent et où va l’argent, parce qu’aussi, plus il y a de confiance, plus les gens seront incités à donner. Je reviens là où j’avais commencé. C’est cette phrase de Jean Seigneur qui m’accompagne souvent : prier avec son trésorier parce que c’est vraiment une question pastorale et spirituelle.