Prière du Matin
Lecture biblique : Romains 10, 14-18
Méditation
Bien sûr, il est question d’Israël dans ce passage. Mais il est aussi question de proclamation, d’annoncer les bonnes nouvelles (une en particulier !) afin que d’autres entendent et écoutent. Alors d’une certaine manière il est question de ministère et l’actualité de l’interpellation de Paul vient cueillir pratiques, attentes, prétentions, habitudes, missions, et à travers cela, toutes les paroles dites et celles qui vont l’être. Invoquer parce qu’on croit ; croire parce qu’on a entendu, entendre parce que quelqu’un a proclamé; et proclamer parce qu’on est envoyé ; dans la rigueur de l’enchaînement des verbes, dans le lien fermement établi entre la proclamation, l’écoute et la foi, à la fois s’affermissent des vocations et se révèlent, en creux, les fragilités des paroles humaines, celles de ceux qui désirent, tentent, s’engagent dans la proclamation de l’Evangile.
« Par toute la terre a retenti leur voix, et jusqu’aux extrémités du monde leurs paroles. » Oui, c’est exact, la proclamation de l’Evangile est allée, va jusques là. Pourtant les voix qui la portent peinent parfois à être seulement audibles dans un brouhaha incessant, une cacophonie d’enchères, de surenchères où se mêlent séductions, manipulations, menaces, et beaucoup de vanités, d’enflures d’orgueil dirait Paul. Et si la cacophonie pouvait s’éteindre, il resterait encore une multitude de paroles et de discours intéressants, et le risque ou la tentation pour ceux qui écoutent de chercher à compiler à leur manière, ou à passer d’un message à l’autre, mais toujours pour ne rien perdre, au cas où…. Et à la peur de manquer quelque chose d’important -peur de ceux qui sont à l’écoute- répond la peur de ne pas parler assez fort et clair –peur de ceux qui proclament-, crainte devant Celui qui envoie de ne pas bien remplir sa mission, ou crainte devant ceux qui parlent plus haut et plus simple.
« Par toute la terre a retenti leur voix, et jusqu’aux extrémités du monde leurs paroles. » Pourtant les voix qui portent la proclamation peinent à former une symphonie de leur diversité, de leur pluralité. De discordances en disharmonies, de concurrences en indifférences voire en mépris, ou pire, il y aurait parfois de quoi décourager le chef d’orchestre le plus patient. Mais il n’y a pas de chef d’orchestre, juste des efforts des uns, des autres, des convictions qu’on tente d’incarner dans un faisceau d’exigences institutionnelles (ecclésiales) aussi indispensables que contraignantes, comme le double visage d’une solidarité indispensable et fondamentale mais qui se dépose toujours aussi dans les arcanes des constructions humaines forcément imparfaites. Peur de la concurrence, peur de l’isolement, peur d’être dépassé viennent alors parasiter plus ou moins insidieusement à la fois chaque voix et leur ensemble.
« Par toute la terre a retenti leur voix, et jusqu’aux extrémités du monde leurs paroles. » Pourtant les voix qui portent la proclamation ne peuvent dissimuler leurs fêlures, leurs rayures, leurs tremblements. A tisser la confiance dans la désillusion, l’espérance dans la déception, la persévérance dans la fatigue, on ne camoufle pas, on s’expose toujours un peu plus, (toute la maîtrise de la rhétorique de Paul ne parvient jamais à dissimuler l’homme). Personne ne fait autrement dans la proclamation d’une Bonne Nouvelle qui commence par une prise de conscience de ce qu’est l’être humain. Là ce n’est plus de la peur, mais une véritable faiblesse humaine indépassable, mais reconnue et assumée ; une fragilité acceptée parce que la peur a été dissoute dans son contraire qui est la confiance, la foi, laquelle porte en son sein une puissance de libération, un appel à la liberté qui brise le règne de la peur.
Nous qui serons à la fin de cette journée plus et mieux informés sur la liberté de conscience, nous serons ainsi encouragés, raffermis dans l’exigence de la proclamation, dans la nécessité d’élever nos voix pour ce service qui est le nôtre, où que nous soyons.
Prière du Soir
En cette heure où la journée s’achemine vers le soir, nous nous tournons vers toi, Seigneur et nous te rendons grâce pour ce que nous avons vécu, entendu, partagé aujourd’hui. Mais c’est toi qui va accomplir cette journée dans et pour le cours de tous nos jours car cela, nous sommes bien incapables de le faire par nous-mêmes. Car c’est toi qui prends l’histoire de chacun et la transfigure par ta Parole et par ceux qui y déposent une empreinte d’amour et de reconnaissance. C’est toi qui veux avoir besoin de nous, dans notre pauvreté, notre faiblesse et nos chaînes, pour proclamer que tu es la source de la vie. Et nous, nous avons besoin de toi pour rester au soir, comme au matin et au midi, éveillés dans la conscience de la grâce que tu offres. A toi, qui peux faire infiniment plus que nous le pensons et le croyons, à toi notre reconnaissance, toutes nos pensées et nos vies. Amen.
Culte
Prière
Toi dont le nom court sur la terre depuis si longtemps avant notre mémoire, Toi dont le nom se lève et se multiplie et résonne et rebondit au cœur de chaque histoire, Toi dont le nom se coule dans les recoins obscurs, les failles profondes et les détours mystérieux, Béni sois-tu ! Toi dont le nom jaillit dans les joies des instants, dans les épreuves des chemins, dans l’espoir des lendemains, Toi dont le nom résiste aux oppressions des fatalités, aux défauts des fidélités, aux aveuglements des intelligences, Toi dont le nom se dresse dans des forces de vie, dans le pardon des blessures, dans l’ouverture des mains, Béni sois-tu ! Toi dont le nom accueille les pauvretés et les fragilités, les errances et les conversions, les questions et les témoignages, Toi dont le nom apaise, restaure, relève et raffermit, Toi dont le nom porte celui de chacun de nous Béni sois-tu ! Loué sois-tu pour le « Je suis » de ton nom éternellement présent ! Amen.
Lectures : Evangile selon Jean, 13, versets 1 à 17
Méditation
« Je vous ai donné un exemple, afin que vous aussi, vous fassiez comme moi je vous ai fait. » dit Jésus à ses disciples, telle est la mission que le Seigneur donne à ses disciples. Pourtant laver les pieds n’est qu’un exemple, un exemple de ce que Jésus a fait à ses disciples, un exemple de ce qu’il les invite à faire à leur tour. Alors qu’a-t-il fait ? Ce qu’il a fait nécessite du temps pour être compris : du temps, un délai, le temps de sa mort, et le temps de sa résurrection ; le temps qu’il souffle sur les siens le même souffle qui le faisait vivre ; le temps de son départ, et celui d’une absence qui n’est pourtant pas un vide ; et le temps de voir, d’entendre, de comprendre ce qu’il a donné à voir, et le temps de se comprendre dans ce qu’il a donné à voir comme une révélation d’un autre monde au cœur même de celui qui s’impose par ses faits bruts et brutaux.
Mais le temps de comprendre n’est-il pas du temps perdu, du temps à raccourcir, à comprimer pour entrer dans l’action, pour servir le plus rapidement possible et devenir performant, serviteur oui, mais utile tout de même ! « Tu comprendras plus tard » : il y a toujours un plus tard, un temps à venir qui recèle encore un trésor à découvrir et qui déplie un peu plus la compréhension, la conscience de ce qui est donné, de ce qu’il a fait, de ce qui est à donner.
Qu’a-t-il donc fait ? Ce qu’il a fait résiste, s’oppose aux représentations, même de bonne volonté, d’un disciple aimant, qui l’a suivi, regardé, écouté, confessé dans la certitude profonde qu’il est, lui, le Seigneur. Et le Seigneur ne saurait s’abaisser ainsi au rang d’un serviteur. Changer l’eau en vin, d’accord ; guérir l’enfant malade, l’aveugle et le paralytique, oui bien sûr ; marcher sur les eaux, nourrir la foule de cinq pains et deux poissons, faire revenir à la vie l’homme mort et enseveli, voici les signes de la grandeur, de la gloire du Seigneur, les signes de la puissance attendue, reconnue. Mais laver les pieds de ses disciples, jamais. Seigneur, si tu oublies qui tu es, moi je le sais, et je le proclame même contre toi : entre toi et moi, la distance est verticale, toi en haut et moi en bas. Comment cet ordre pourrait-il ne pas être immuable, fondamental ? Mais si le nouveau monde ouvert, dessiné, désigné par Jésus était seulement celui que nous connaissons, seulement bien mieux rangé, il suffirait juste d’un peu d’efforts et d’ordre pour que survienne le royaume de Dieu. Ce que fait Jésus relève d’un autre ordre, d’un désordre dans lequel se laisser entraîner ne procède pas un choix de la raison.
Qu’a-t-il donc fait ? Ce qu’il a fait s’élève aussi contre le désir du disciple de se fondre dans sa lumière, contre le désir d’être absorbé dans un idéal de perfection, contre le désir d’abolir pour de bon toute distance puisque le Seigneur lui-même consent à descendre si bas, si près, tout près. Alors oui, lave-moi les pieds, et les mains et la tête, tout entier, que je sois libéré de ma pesanteur, quitte à disparaître, à ne plus être. Lave-moi tout entier, rachète toute ma misère que je rejoigne enfin ta grandeur, que je sois débarrassé de ma triste condition, du péché qui m’empêche. La fragilité de l’existence, les obscurités de la conscience, l’ignorance du pourquoi du mal ne sont pourtant pas effacées par l’eau qui coule sur les pieds.
Mais alors, qu’a-t-il fait ? Ce qu’il a fait n’est refusé à personne, ni à celui qui le reniera avant que le coq n’ait chanté trois fois, ni même à celui qui s’est déjà séparé de lui, celui qui n’a pas résisté à la déception, au découragement, à l’incompréhension, celui qui ne fait déjà plus confiance. Tous, tous sont traités pareillement, comme une invitation, une bonne occasion, la bonne heure pour relire ses pensées et ses choix à la lumière de ce qui est fait, une invitation à les reposer ces pensées et ces choix à nouveau et nouveaux car ce qui est ultimement en jeu n’est pas ce qu’on croit mais ce que lui révèle à ce moment.
Enfin, qu’a-t-il fait ? Lui qui est le Seigneur et Maître agit comme tel. Il le dit, il l’affirme, nul ne peut l’oublier en ce moment où il accomplit la tâche d’un serviteur. Pas un instant, il n’est moins que le Seigneur et le Maître ; pas un instant, il ne dépose la moindre parcelle de son autorité. Il lave les pieds de ses disciples en tant que Seigneur et maître, librement, délibérément, souverainement. Il lave les pieds de ses disciples comme l’expression même de sa liberté, de sa volonté, de sa seigneurie. Il est le Seigneur et le Maître du lieu où il accueille ses disciples par un geste d’hospitalité qui témoigne de la grande dignité qu’il leur reconnaît, de la place éminente qui est la leur en ce lieu. Car dans ce lieu (qu’on peut appeler un royaume…) ce n’est pas à un séjour temporaire que sont conviés les disciples, c’est à une véritable communion avec le Seigneur et Maître: « si je ne te lave, tu n’auras pas de part avec moi. »
Donner part avec lui. Voici donc sa volonté et celle de celui qui l’a envoyé ; voici sa mission, ce qu’il montre et ce qu’il fait et ce geste récapitule tout ce que l’évangile transmet d’actes et de paroles de Jésus et même plus car dès le majestueux prologue de l’évangile est annoncé ce que reçoivent ceux qui ont accueilli la Parole faite chair. Part avec Jésus le Christ, part à sa vie, part à sa liberté, part à son union avec le Père, part à la vie éternelle. C’est cela sa seigneurie, sa liberté, non pas veiller jalousement sur des prérogatives et sur la préséance qui lui serait due, mais partager ce qu’il a, jusqu’à partager ce qu’il est, lui, le Fils du Dieu qui est Père.
Tel est le service rendu par le Seigneur à ses disciples : leur donner part à la vie qui vient de Dieu, la vie qui est en Dieu, les enfanter d’en haut ainsi qu’il a déjà été dit à Nicodème, faire d’eux des signes de la gloire de Dieu. De ces hommes (et femmes) toujours fragiles, vulnérables, porteurs de tant d’ambiguïtés et d’ambivalences, agités de toutes les dramatiques de l’existence humaine, faire des enfants de son Père, des enfants de Dieu. Y a-t-il plus proche de celui qui donne la vie que son enfant ? Etre enfant de Dieu n’est certes pas être Dieu, mais tout de même, ce n’est pas rien, ce n’est pas misérable, ce n’est pas méprisable, ce n’est pas haïssable que cette condition qui vient transfigurer celle du traître, et celle du renégat, et celle de celui qui ne dit rien, et celle de celui qui comprendra plus tard.
Servir sans cesser d’être Seigneur. Ce que Jésus fait et qui trouble tant Pierre et beaucoup d’autres disciples, c’est d’indiquer que le service, son service n’est pas seulement de s’abaisser vers ceux qui sont plus petits que lui, mais par ce même mouvement, de les élever vers ce qu’il est lui, vers ce qu’il a donné à comprendre de lui et du Père. Tel est donc le service que les disciples sont appelés à rendre et à se rendre les uns aux autres : montrer et dire à l’autre qui il est de manière fondamentale et ultime : un fils ou une fille de Dieu, un fils ou une fille unique et merveilleux, quelqu’un appelé à briller comme une étoile au ciel, quelqu’un appelé à témoigner de la gloire de Dieu par sa seule existence.
Ce n’est pas réservé à quelques uns, mais donné à tout un chacun. Porteurs et témoins d’une Bonne Nouvelle, les serviteurs du Maître donnent ce qu’ils ont de plus beau, de meilleur en eux, et qui n’est pas tant dans ce qu’ils font que d’abord dans ce qu’ils croient pour l’autre et pour eux, de l’autre et d’eux, devant Dieu. Ils croient qu’aucun n’est destiné ou condamné à être perdu ou anonyme dans l’obscurité de ses ténèbres intérieures ou de celles du monde. Ils croient que chacun est attendu, désiré afin d’être élevé, suscité, ressuscité dans une dignité sans égale car elle est offerte et reconnue par le Dieu qui dit : je mets devant toi la vie et la mort, choisis la vie. Ce Dieu qui laisse l’être humain libre de reconnaître et de choisir est celui qui fait tout pour que le choix soit posé et maintenu car il est le Dieu Vivant, Dieu source de vie, Dieu qui est la vie.
Les serviteurs qui font comme leur Maître peuvent alors témoigner qu’ils voient des existences ordinaires, ou un peu abîmées ou complètement cabossées, être vivifiées, comme une plante assoiffée, flétrie, tombante se redresse et s’épanouie quand elle est arrosée, toujours plus belle qu’on ne l’imaginait. Et cela, ils l’ont vécu d’abord eux-mêmes dans leur existence, non pour s’en glorifier, mais afin de le transmettre dans une reconnaissance qui ne cesse plus. Car à ce service rendu, seuls peuvent répondre la transmission/le témoignage et la louange.
Oui, il y a là de quoi mettre du désordre car il y a là de quoi briser les peurs et faire rouler les pierres les plus lourdes ; il y a là de quoi jouer de la flûte et danser en même temps ; il y a là l’accomplissement de la paix et la joie parfaite. D’ailleurs c’est bien ce que dit Jésus : si vous faites cela, heureux êtes-vous.