Les anciens prêtres devenus pasteurs et les « ministres itinérants » du 16ème siècle n’étaient pas toujours à la hauteur de leur tâche. C’est pourquoi les synodes ont été chargés de réguler les ministères et d’instaurer la norme universitaire. La tradition réformée reconnaît la vocation interne, l’appel ressenti dans le for intérieur du candidat, et la vocation externe, par la reconnaissance communautaire. Les ministres des premiers siècles de l’ère chrétienne n’étaient pas forcément formés en science et érudition. Mais les protestants se sont aperçus que le travail indispensable sur les textes produits pendant les siècles suivants nécessite de solides connaissances. Il faut les moyens et les compétences propices aux adaptions à inventer afin d’incarner la Parole dans de contextes évolutifs. Par exemple, du latin universel on passe aux langues vernaculaires.
Malgré le principe du sacerdoce universel, si cher aux protestants, les pasteurs ne sont pas pour autant vus d’un même regard que les autres. Leur vie conjugale et familiale a pour conséquence de valoriser théologiquement le couple et la famille. En contre-parti, dans certains endroits et pendant certaines époques, les attentes morales serraient comme un insupportable corset des pasteurs et leurs familles. Dans d’autres cas, la notabilité du statut pastoral et l’éducation raffinée dont bénéficiaient leurs enfants à la maison servaient d’inspiration à leur voisinage.
Les pasteurs passent beaucoup de temps dans leur cabinet de travail. Autrefois, la préparation du sermon du dimanche pouvait prendre deux jours et demi. Mais alors les sermons duraient une heure ou plus ! Les pasteurs sont sensés de préparer leurs interventions avec soin et pour cela de consulter non seulement la Bible, mais également d’autres textes. Ils ne doivent pas recopier ce que d’autres ont dit, mais faire œuvre originale. Sous l’ancien régime, les pasteurs n’étaient pas sensés visiter régulièrement leurs paroissiens. Les visites pastorales à domicile systématiques n’ont été instaurées qu’au 19ème siècle dans le sillage du mouvement de Réveil. Aujourd’hui elles n’existent pratiquement plus. Les pasteurs comme « prêcheurs de la morale » étaient également inventés à la même époque, et eux non plus n’ont survécus.
L’approche historique du ministère pastoral protestant dégage « une sorte de gisement formé de plusieurs couches sédimentaires ». Les pasteurs en sont redevables, ils en prennent compte, tout en assurant la continuité de cette même évolution par l’invention de formes toujours nouvelles.
L’accent sur l’individu, développé dans la société européenne du 19ème siècle a suscité d’approches nouvelles du ministère pastoral. Aussi l’émergence d’utopies et de nouvelles disciplines scientifiques ont eu un impact sur les façons d’être et de faire des pasteurs. Ils doivent avoir une certaine connaissance des différentes disciplines qu’ils côtoient dans l’exercice de leur ministère, tout en évitant de les confondre à la leur.
A travers les siècles, leur domaine de prédilection demeure cependant l’annonce de l’Evangile. La Parole les conduit parfois à édifier leur audience, parfois à se dresser contre des prétentions humaines. A propos, il semble que l’on retrouve aujourd’hui le sens de la prédication comme véhicule d’une Parole venant d’ailleurs, indépendamment de la seule affectivité humaine prônée pendant les années 1970-1980. Les pasteurs d’aujourd’hui ne sont d’ailleurs plus masculins seulement. Des femmes ont intégrées le corps pastoral et modifiée par là la donne.
Aux pasteurs revient la liberté d’inventer la manière la plus opportune d’exercer leur ministère dans le nouvel horizon de la réalité actuelle. Ils se savent pourtant exposés à des formes de stress assez semblable à celles dont souffrent leurs contemporains. Eux non plus ne sont pas à l’abri des dépressions et tous ne sont pas des rocs. Ce n’est pas une affaire de manque de foi, mais tout simplement de situations concrètes qui parfois les épuisent. Pour répondre à de telles situations, la figure du « pasteurs de pasteurs » a été inventée. Toujours est-il qu’il n’y a pas de solutions toutes faites, en particulier sous l’angle institutionnel.
Le parcours historique ouvert avec la notion du pasteur inventé par le protestantisme aboutit à l’interrogation si le protestantisme n’a pas été inventé par les pasteurs ? Ce schéma d’inversement suggère une interrogation encore plus percutante pour ne pas dire provocante : la figure du pasteur classique et européen n’est-il pas en voie de disparition ? Selon la logique de l’invention permanente, l’option du remplacement de la façon actuelle de comprendre cette fonction pastorale par une autre paraît possible. Quelle que soit la réponse à cette interrogation, le ministère pastoral, sous ses formes diverses, fut et demeure une belle aventure toujours en train de commencer…